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Poésie Cœur saignant

mai 2009 | Le Matricule des Anges n°103 | par Richard Blin

Glissant comme larmes ou cascadant comme rire jaune, la poésie de Franck Venaille a la beauté perdue des noirs adoubements.

Il a la colère sainte et le désespoir natif, ne s’est jamais remis de « l’insupportable douleur d’être né », ni des vingt-sept mois passés dans le bled algérien. Né en 1936, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont La Descente de l’Escaut, Capitaine de l’angoisse animale, Chaos, Franck Venaille est un homme en guerre depuis toujours, contre la folie du monde, les fourvoiements idéologiques, la maladie, l’énigme qu’il est à lui-même. Il y a chez lui de l’angoisse d’Hamlet tout autant que de l’intransigeance d’un François d’Assise capable de se jeter nu dans un massif de roses pour expier une tentation. Faux libertin fasciné par l’attraction des contraires, la mer du Nord mais aussi l’Ombrie et la Vénétie, Venaille accepte ses faiblesses, ses « à-peu-près d’âme », sans cesser de dresser haut son refus de vivre mutilé. Il « a marché, a beaucoup marché », a bâti sur le mouvement et l’action sa poésie. Sa vie, c’est Ça, cette chose présente, immédiate, irrécusable, presque palpable et ô combien sensible, qu’il a réuni dans son dernier livre.
Ça, comme le livre de sa vie, une geste sans fin recommencée d’écarts et d’accords, de blasphèmes et de prière, de souvenirs et de chimères. Un livre où alternent « actualités d’hier et d’aujourd’hui », choses vues, vécues, rêvées, sur fond de souffrance et de douleur. Car Franck Venaille écrit à partir du corps, d’un biographique profond, émouvant, éprouvant, gauchi souvent, fictionné parfois, mais toujours férocement physique. « Moi c’est noir ! Ce que j’écris ignore superbement l’amertume mais cela demeure sombre et Meuse mêlé aux poumons ». Poésie incarnée où coexistent défi et tendresse, ange et démon, honte et effroi, « chevaux de l’aube » et « l’animal de maladie ». Ça, comme un cantique d’hiver avec empourprements crépusculaires, irradiations neigeuses, noces de la Glace et du Feu. Un univers où le temps est plus fait de saisons que de dates, où les morts continuent d’influencer nos comportements, où les mots sont le plus court chemin du ciel à l’abîme.
« Les mots de poésie il faut parfois aller les chercher au centre du ring ».
Une poésie faite de mots venus de l’expérience, mais pas n’importe lesquels, ceux qui gardent en eux la force de l’émotion, la violence du vécu. « Les mots de poésie il faut parfois aller les chercher au centre du ring, sous le tapis ou contre les cordes ». Alors il se bat, Venaille, il creuse, s’enfonce dans le dédale de sa nuit, excave le refoulé, traque les points aveugles, dénonce les illusions, ressasse, dénude, cherche à atteindre la clarté nue et quasi mystique d’une Hadewijch d’Anvers. « J’avance dans l’étrangeté du langage, ses ruades, ses moments de calme./ Le silence d’Apocalypse régnant sur la mer gelée. » Essentiel, le choix des mots pour lui, parce qu’ils se touchent, parce qu’ils ont un relief, sont finalement la seule chose qu’on peut opposer à la mort. Comme est essentielle la forme du poème, le lieu et le paysage qu’elle dessine. Disposition à géométrie variable où les changements de rythme et de cadence comme les passages du linéaire au vertical, du verset à la stance, de l’adresse à l’injonction ou de l’étouffant au déchiré, sautent aux yeux. Ainsi le poème peut se faire lame quand il s’agit de dire l’absence de joie vraie, ou voir ses caractères se faire minuscules lorsqu’il s’agit d’avouer l’inguérissable blessure d’amour ou de chanter le blues de la désespérance. « Seigneur, me voici nu comme/ Nouveau né qui crie et hurle/ Qu’il ne veut pas vivre ça ».
C’est cela le ton Venaille, cette façon de mêler le terrible au dérisoire, de mettre en scène une écriture portée, façonnée par la propre force de ses mots - pensés, mûris et littéralement mis en musique. Comme si seule, l’harmonie musicale pouvait faire un peu contrepoids à la disharmonie fondamentale du tragique, d’une vie malade, d’une vie de chien. « Je suis le chien Aupick. Mon nom fait rougir les jeunes lycéennes. J’utilise des pseudonymes et moi je vous dis : la poésie est une invention machiavélique. (…) Partons donc tous les deux. Avec les dieux. Vous me tiendrez la patte et nous entrerons en file indienne dans le Temple réservé à la glorification des mots ! »
Qu’elle s’écrive sous le sceau de l’urgence, se recueille dans son propre silence ou trouve dans une forme d’ébriété lyrique la griserie capable de redonner un peu de couleur au gris de sa vie, la poésie qu’écrit Franck Venaille avance comme un fleuve d’où surgiraient régulièrement des bribes de fiction submergées, des silhouettes égarées, des lambeaux de récit, des épiphanies embrumées, du hurlé dans la nuit. « Ça, ça, ça », comme un cri tournoyant sur lui-même, s’affolant dans le vertige d’une lente dépossession. Une voix qui chante à en râle-mourir ce qui, malgré tout, nous maintient debout, et vaguement souverains, au bord même de l’abîme.

Ça de Franck Venaille
Mercure de France, 158 pages, 14,80

Cœur saignant Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°103 , mai 2009.
LMDA PDF n°103
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