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Traduction Sophie Képès*

mai 2024 | Le Matricule des Anges n°253

Les Garçons de la rue Pál, de Ferenc Molnár

Les Garçons de la rue Pál

Ferenc Molnár, dont le vrai nom était Neumann, est né à Budapest en 1878 dans une famille juive aisée. Ayant commencé sa carrière d’auteur à 20 ans, il produira une œuvre prolifique et mourra en 1952 à New York, où il a fui le nazisme, un 1er avril – sa dernière blague. Il a écrit des romans et des nouvelles, une quarantaine de pièces de théâtre et des scénarios de films. Son talent profondément original, ses intrigues efficaces, ses dialogues acérés, son ton faussement léger et son empathie pour ses personnages malmenés par la vie lui ont valu d’immenses succès jusque sur les planches de Broadway.
Cette créativité hors du commun ne doit pas masquer le fait que Molnár était dépressif (elle pourrait même être liée à cela). Une anecdote à ce propos : dans un café new-yorkais, son ami Sándor Bródy, également dépressif, lui suggère des méthodes de suicide. Molnár, qui a échoué dans ses précédentes tentatives – alors que sa troisième femme mettra fin à ses jours –, lui répond : « Désolé, Sándor, mais en matière de suicide, je n’accepte les conseils que de ceux qui ont réussi. »
Les Garçons de la rue Pál a d’abord été publié en feuilleton dans Le Journal des écoliers en 1906, puis édité sous forme de livre en 1907 par la Société Franklin. Depuis lors, il n’a jamais cessé d’être réédité et a accédé à un statut de « classique jeunesse » comparable au Petit Prince de Saint-Exupéry. Lu aussi par des adultes, longtemps étudié en classe en Hongrie, incontournable dans les démocraties populaires, traduit dans de nombreuses langues et huit fois adapté au cinéma, il a été publié en français en 1937 et a figuré dans la célèbre Bibliothèque verte, marquant pour la vie des générations de lecteurs, jeunes adolescents qui se sont identifiés aux personnages et ont mûri avec eux.
Les éditions Tristram publient aujourd’hui ce qui est en réalité la première version française directement tirée de l’original. La précédente, qui date de 1937 et circule toujours, a été faite à partir du mot à mot de deux Hongrois lettrés, László Gara et Andor Adorján, réécrit et adapté par un éditeur français pour Hachette. En ce temps-là, les critères de qualité et de fidélité d’une traduction n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Mon approche de ce texte a été très différente, évidemment. À l’issue de ce travail, j’ai le sentiment d’avoir sorti le texte de sa gangue.
L’action prend place à l’époque où Molnár avait l’âge de ses héros, au printemps 1889, dans l’empire austro-hongrois bariolé issu du Compromis de 1867, une période plutôt florissante pour la Hongrie qui connaît alors sa révolution industrielle couplée à un fulgurant essor culturel dans les grandes villes. Deux bandes de garçons rivales s’affrontent pour la possession d’un terrain vague dans la Pest industrieuse où se côtoient professions libérales et petits artisans. Les études au collège, les jeux en plein air, les interdictions des adultes sans cesse enfreintes et l’imitation passionnée de leurs institutions (les clubs, l’armée), l’obsession de la guerre, le respect pointilleux d’un code d’honneur, forment le cadre de l’intrigue.
Roman d’apprentissage du point de vue de Boka, le chef du clan de la rue Pál, son dénouement tragique tranche avec les conventions du livre de jeunesse. Le sacrifice inutile de Nemecsek, le petit blond au physique d’ange, illustre l’absurdité et la vanité de toute guerre. La bande des Chemises pourpres comme celle de la rue Pál perdront ce pour quoi elles se sont battues, il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus, juste une victime innocente. Mais le livre peut être lu à un deuxième niveau. Ainsi, on peut interpréter le club du mastic comme une satire de la bureaucratie « cacanienne1 » envahissante, rigide, pompeuse. Le terrain vague peut, quant à lui, représenter la patrie défaite en référence à l’échec de la guerre d’Indépendance (1848-49). Heureusement, la tendresse de l’auteur pour les pauvres gens, les ridicules du petit héros qui s’avère à la fin plus courageux, loyal et malin que les autres, les traits d’humour et les moments comiques atténuent la cruauté amère de l’histoire.
Le lexique est relativement simple et l’on ne rencontre pas les longues phrases complexes typiques de la littérature hongroise contemporaine que j’ai l’habitude de traduire. Il s’agit surtout de dialogues, d’actions et de sentiments. Dans la précédente version, certains détails perçus comme trop « exotiques » pour un lectorat français avaient été supprimés, je les ai rétablis ; de même que de nombreux éléments transposés : le marchand de confiseries turques était devenu un marchand de bonbons, il ne vendait plus de loukoum mais du nougat ; le traditionnel jeu de méta s’était transformé en tennis (des gamins qui jouent au tennis dans la rue à la fin du XIXe siècle !) ; le lièvre de mer s’était métamorphosé en cobaye. Les kreutzers étaient devenus des sous et les prénoms avaient été francisés, jusqu’à celui de l’auteur. De plus, j’ai corrigé les étourderies et incohérences mineures qui subsistaient depuis la publication en feuilleton dans les rééditions hongroises successives.
Connu pour ses grandes retraductions de littérature étrangère, Tristram, qui cultive une passion ancienne pour ce livre, désirait lui offrir une nouvelle vie depuis sa fondation il y a trente-sept ans. C’est désormais chose faite.
1 Terme forgé par Robert Musil à partir de « K & k », kaiserlich und königlich, soit « impérial et royal ».

* Sophie Képès est écrivain et traductrice du hongrois. Dernier livre paru : Désappartenir. Psychologie de la création littéraire, essai, Maurice Nadeau, 2023, en première sélection du prix Fémina. Les Garçons de la rue Pál (192 pages, 19 ) en librairie le 24 avril.

Sophie Képès*
Le Matricule des Anges n°253 , mai 2024.
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