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Intemporels Une vie de château

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Didier Garcia

Le premier volet de La Trilogie de Gormenghast présente l’univers invraisemblable de l’Anglais Mervyn Peake. Jubilatoire et délicieux.

La Trilogie de Gormenghast vol.1 : Titus d’enfer

Mervyn Peake (1911-1968) est de ces écrivains à qui la démesure ne fait pas peur. Bien au contraire. Il la recherche, et dès qu’il la tient, il en rajoute encore, comme si ce n’était qu’à travers elle qu’un créateur peut laisser son talent s’exprimer.
Prenez son château par exemple. À d’autres, Versailles aurait suffi. À Peake, non. Pour lui, Versailles, c’est encore trop peu, trop maison de poupée. Faute de s’en trouver un à la hauteur de ses désirs, il s’en est inventé un : Gormenghast. Un château de fous, dessiné par un enfant, ou conçu par un architecte ayant perdu jusqu’au sens des proportions. Et d’ailleurs, est-ce encore seulement un château ? N’est-ce pas plutôt une citadelle ? Une ruche ? Une fourmilière géante ? Quelque tour de Babel revisitée par Jérôme Bosch ?
Côté personnages, la démesure est également au rendez-vous. Vous y croiserez Craclosse, dont tous les os craquent de manière superlative à chaque pas ; Abiatha Lenflure, le tyrannique chef des cuisiniers, dont le physique évoque une masse gélatineuse ; Titus, dont les yeux violets hériteront bientôt du domaine de Gormenghast, cette terrible maison d’Enfer dont il deviendra le soixante-dix-septième comte (à moins qu’il ne profite des deux volumes suivants pour se soustraire à son destin). Sans oublier sa nourrice, Nannie Glu, le docteur Salprune et sa sœur Irma, Lady Gertrude et son cortège de chats blancs, et ce Finelame échappé des cuisines, à l’intelligence supersonique…
Avec de tels farfelus, qui meurent ou disparaissent sans crier gare, les intrigues se forment d’elles-mêmes. On ne sait d’ailleurs trop à laquelle se vouer. Faut-il suivre Titus, héros malgré lui du premier volet (lequel se referme lorsqu’il a été sacré comte, bien qu’âgé d’à peine 2 ans), ou se concentrer sur Finelame, ce commis prêt à tout pour régner sur Gormenghast, ou accompagner Lenflure, qui nourrit des projets machiavéliques ?… Et quel sort faut-il réserver à Keda, qui appartient au peuple du Dehors, et qui a vu deux sculpteurs s’entretuer pour elle ?
Autant une farce qu’une vision carnavalesque du monde.
Peake se fait un malin plaisir à laisser ses histoires en suspens, comme si elles allaient suivre leur cours en dehors du volume et voler de leurs propres ailes. Tant et si bien qu’au bout de cent pages on songe déjà à tout résumer, ne serait-ce qu’à gros traits, une peine que Peake épargne d’ailleurs au lecteur. Mais c’est une opération mentale qu’il faudrait renouveler toutes les cent pages, au moins pour s’accorder une pause et pouvoir faire le point.
Quand on aura dit que ce Titus d’enfer présente un monde vivant sous la férule de rites immémoriaux et de cérémonies protocolaires, quand on aura reconnu qu’il s’agit d’un huis clos d’un genre singulier, d’une réclusion dans un univers teinté de fantastique, sans doute sera-t-on satisfait d’avoir pu en dire quelque chose, peut-être même soulagé, mais on ne sera guère plus avancé. Le texte reste intact. Par rapport à lui, par rapport aux détails, aux exquises subtilités de l’écriture, à l’immense plaisir que l’on prend à traverser ces pages sans savoir où elles mènent, c’est vraiment comme n’avoir rien dit.
À la fin du premier volume, on n’en sait pas beaucoup plus. On ignore encore s’il s’agit d’une farce, d’une vision carnavalesque du monde, ou de quelque chose de plus tragique. Qu’importe, puisque l’on brûle déjà de lire la suite, autant pour le plaisir d’en savoir davantage sur le compte de chacun que pour y retrouver cet humour qui affleure presque à chaque page (car on y rit de bon cœur, du grotesque surtout, de tant de baroque, de ce docteur Salprune, aux sorties toujours fantasques, et que l’on regrette de ne pas retrouver à chaque chapitre, ou de ces notations déconcertantes dont Peake a le secret : « Elle se contorsionnait comme une anguille qu’on vient de couper en deux et qui garde encore quelques idées personnelles sur les contorsions »…).
Peut-être verra-t-on alors un peu mieux à quelle tradition littéraire rattacher cette trilogie. Il est bien sûr tentant de convoquer Rabelais pour la démesure et le côté farce de l’ensemble, ou Jarry, pour ces personnages que l’on croirait exhumés de son théâtre, ou encore Roussel, pour la facture surréaliste de certaines descriptions (ainsi ce mur tapissé de lézards d’émeraude), mais cela ne mène pas bien loin. C’est d’ailleurs l’apanage des grandes œuvres que de donner l’impression de n’être nées de rien, comme s’il n’y avait jamais rien eu avant elles.
Que l’on s’en tienne à ce premier volet ou que l’on se coltine la trilogie, cette lecture fera mentir Georges Perros, pour qui tous les romans, même les bons, sont toujours trop longs. Ici, la longueur garantit au lecteur de ne pas sortir de table trop tôt. Et d’en sortir le ventre plein, après s’être copieusement régalé.

Titus d’enfer de Mervyn Peake
Traduit de l’anglais par Patrick Reumaux
Points Seuil, 608 pages, 8,50

Une vie de château Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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