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Poches Fantômes littéraires

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par Marta Krol

Truculent et érudit, Enrique Vila-Matas visite les écrivains qui ont dit non, en procédant à une démonstration par l’absurde.

Bartleby et compagnie

Le projet de ce livre (paru en 2002) est annoncé clairement et mené sûrement malgré son allure paradoxale : interroger la littérature là où elle fait défaut, mettre le doigt sur des œuvres inexistantes - non pas parce que perdues ou détruites, mais parce que jamais écrites -, réunir un panthéon d’écrivains négatifs, d’artistes sans œuvre, d’auteurs « agraphiques ». Bref, identifier dans le domaine littéraire le « syndrome de Bartleby », du nom du héros d’un récit de Herman Melville, engagé dans un bureau en qualité de copiste, et dont l’attitude envers toute proposition ou injonction se résume en une phrase devenue célèbre : « I would prefer not to ». Les vertiges philosophiques de ce texte en ont depuis inspiré plus d’un (notons Gilles Deleuze ou Giorgio Agamben). Enrique Vila-Matas, avec l’aisance et la conviction de celui qui en connaît un rayon, construit donc à partir de Bartleby le paradigme de l’écrivain mutique, ce qui revient en réalité à « s’interroger sur ce qu’est l’écriture et de se demander où elle se trouve, et de rôder autour de son impossibilité » ; et, qui plus est, à « dire la vérité quant à la gravité (…) du pronostic que l’on peut porter sur la littérature en cette fin de millénaire ».
Rôder autour de l’impossibilité de l’écriture.
Et le lecteur plonge avec délice dans un kaléidoscope de portraits, histoires, anecdotes et souvenirs de ceux qu’a frappés la cécité littéraire, ou plutôt qui l’ont en toute liberté choisie, car l’impossibilité d’écrire impliquerait sans doute qu’on ne soit pas écrivain. Or, il s’agit bien dans ce livre étonnant de parler de ceux qui auraient pu - parce qu’ils l’ont fait une fois, parce qu’ils laissaient deviner un talent - construire une œuvre, mais ont renoncé à le faire, totalement ou bien en se réfugiant des années durant dans le silence. À l’instar du narrateur lui-même…
La question est évidemment celle du pourquoi ; et les réponses toutes aussi diverses que surprenantes. Ce n’est pas le moindre mérite d’Enrique Vila-Matas que de nous ouvrir ainsi une mine de savoir sur la vie des hommes de lettres ; on y apprend que l’anglais aurait « pourri la vie » de Beckett, que Rimbaud « vivrait fort mal s’il consacrait chacun de ses instants à enregistrer (…) ses infatigables visions », que Walser se vivait comme un « zéro à gauche » et souhaitait qu’on l’oublie, que Chamfort ne voulait pas ressembler à « des ânes lorsqu’ils se ruent et se battent devant leur mangeoire vide ». Que l’on peut ne plus écrire parce qu’on préfère, au langage, une « vitale immédiateté » ; ou parce que l’élégant pouvoir de renoncer à sa création apparaît comme supérieur à la pulsion de créer. Ou encore, parce qu’on croit comme Maupassant avoir déjà gagné son immortalité ; ou enfin, parce qu’à l’instar de Tolstoï, on considère la littérature comme « la principale responsable de sa déroute morale ».
Sous ses allures humoristiques et allègres (« Je trouve un certain plaisir à me montrer farouche, à escroquer la vie, à afficher des positions de héros radicalement négatif de la littérature »), on aura bien compris que l’affaire est grave ; et le volume possède une dimension tragique qui point par endroits sans jamais se faire pesante. Non seulement l’auteur ne fait pas l’apologie de la stérilité et ne flirte avec un nihiliste désabusement ; mais encore, à la faveur de quelques accents personnels, il met en garde. Le « syndrome » de Bartleby est aussi un symptôme, celui d’un mal profond et préoccupant. Car « La littérature, quelque passion que nous mettions à la nier, permet de sauver de l’oubli tout ce sur quoi le regard contemporain, de plus en plus immoral, prétend glisser dans l’indifférence absolue ». Un bel appel à agir.

Bartleby et compagnie d’Enrique Vila-Matas
Traduit de l’espagnol par Eric Beaumatin, Christian Bourgois, « Titres », 218 pages, 6

Fantômes littéraires Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.
LMDA PDF n°105
4,00