Auteur d’une dizaine de livres, dont les poèmes épurés de L’Abord (Fata Morgana, 2003), Joël-Claude Meffre a toujours lié l’empreinte de la géographie et l’étude de ses sous-sols à la façon dont se construisent les strates de mémoires, mais aussi à la répercussion qu’elles ont sur l’acte de voir. Que l’homme soit archéologue n’y est certes pas pour rien mais il est assez rare que se répondent deux domaines en apparence éloignés. Trois figures d’oubli, peut-être avec une netteté poétique plus forte encore, le démontre à nouveau à partir de territoires de montagne : la première partie « Lui, montagne » dresse le portrait de l’une de ces vies minuscules. Ce lui-là est sans nom, il est « l’homme au vallon », « Certains matins (…) (il) parle sans savoir qu’il se parle. » Cette suite, pudique, d’une juste sobriété, est un regard porté sur les blessures de celui que les « marques de la montagne » avaient en somme tatoué : il partit sans se retourner, dans le froid, « s’endormant entre deux pierres toujours mal calées ». Joël-Claude Meffre peut ainsi se dire, comme face à un masque mortuaire ancien : « (… la lampe de mort qui s’éclairait après chaque phrase / vacille dès l’irruption de l’anecdote et s’éteint / en ayant à peine écorné le tissu de la mémoire) ». De cet anonyme à celle nommée Aniès, la femme de la montagne (« L’Aniès parle dans sa tête (…) C’est parole percée de vent, emportée avec lui »), se dessine, toujours fragile, sur le bord de ne plus pouvoir se dire, un engagement au frère lointain. L’un d’entre eux s’appelle André du Bouchet ; la « Terre en suspens » que lui donne Meffre se déclare clairement son « tombeau ». « Je piétine la neige noire tombée des garde-boue, recouvrant les pas gelés des chasseurs sur le bord du chemin ; ils convergent vers une traînée de sang de dépeçage. » Que la pureté de la neige y soit là possible reviendrait à se souvenir que là où le danger croit, croit aussi ce qui sauve. Cela, que ne cessa d’interroger, via Hölderlin, André du Bouchet, Meffre le trace aussi dans sa mémoire
TROIS FIGURES D’OUBLI
dE JOÊL-CLAUDE MEFFRE
Tarabuste éditeur, 106 pages, 11 €
Poésie Trois figures
septembre 2009 | Le Matricule des Anges n°106
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Trois figures
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°106
, septembre 2009.