James S. Lee, sujet britannique né en 1872, est l’un des plus étonnants obstinés que l’on sache. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il reçut les éloges de William Burroughs, cet autre apôtre de… la drogue. Dans le cas de Lee, il faut clairement parler des drogues puisque cet ingénieur attaché à des chantiers de mine ou de chemin de fer en Asie, mit sa curiosité à expérimenter toutes les substances et même à les mélanger (jusqu’à quatre drogues différentes par jour : morphine, cocaïne, hashich et opium), au point d’en concevoir un « élixir de vie » sur lequel il resta, dans Underworld of the East, ces souvenirs des années 1895-1915, bien cachottier.
C’est un médecin local, le Babou, qui lui fit découvrir la morphine, remède aux fièvres régionales. Le même, pour corriger une addiction handicapante (la morphine conduit à la constipation), lui présenta l’opium. Par goût des expériences, et par plaisir sans doute, James S. Lee se « spécialisa » dès lors et se consacra à toutes les drogues existantes, payant à l’occasion les coolies qui lui dénichaient une plante inconnue afin qu’il en fasse des décoctions. À notre connaissance, seul Théo Varlet aura étudié les hallucinogènes avec autant de rigueur, mais moins… d’ambition.
La diffusion des seringues hypodermiques favorisa clairement ce « hobby » stupéfiant, mais James S. Lee, sagement, apprit à composer avec ses démons et à en user sans risquer l’overdose ou la souffrance. Vingt ans de défonce sans pépin notable - hormis un buste qui vira définitivement au bleu -, on comprend l’admiration de Burroughs.
Si l’on peut rester sceptique quant à la véracité de tous ses dires (une forfanterie de vieux colonial perce ici et là), on reste surpris par les quantités astronomiques de drogue que notre aventurier des substances s’est injecté dans les veines. Cette façon de tirer la Queue du Tigre - à l’instar de la « Queue du Dragon » titillée par les ingénieurs des premiers âges de l’atome en quête de sa fission - reste remarquable d’indépendance et de liberté. James S. Lee n’aimait pas la civilisation et trouva là un exutoire. Rédigé sans souci du style - quels dérapages parfois ! -, son témoignage retrace une aventure unique, subversive et dépeignée, digne de figurer parmi les récits de voyages extraordinaires.
LES TRIBULATIONS D’UN OPIOMANE (1895-1915)
dE JAMES S.LEE
Traduit de l’anglais par Sophie Azuelos
Éditions Intervalles, 328 pages, 19 €
Histoire littéraire Tribulations
octobre 2009 | Le Matricule des Anges n°107
| par
Éric Dussert
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Tribulations
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°107
, octobre 2009.