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Zoom Vies sous contrôle

novembre 2009 | Le Matricule des Anges n°108 | par Sophie Deltin

Sombre mais nécessaire, le premier roman de l’Allemand Karsten Dümmel décrit des existences brisées par la Stasi, la police secrète de l’ancienne RDA.

Le Dossier Robert

Combien sont-ils ces gens ordinaires à avoir été, à l’instar de Robert K., broyés, démolis par la terreur du régime dictatorial de la RDA ? Le « héros » de Karsten Dümmel, jeune docteur ès sciences, passe ses jours à laver des carreaux dans un quartier délabré de Leipzig. Parce qu’avec Maria la femme aimée, et ses amis, Heinrich, Lisa, Christa, Johanna, il a constitué un cercle littéraire, où ils lisent des textes de Novalis, Kleist, Hölderlin ou encore Reiner Kunze, il devient l’objet d’un « contrôle opérationnel de la personne ». Un contrôle qui se transformera en une entreprise systématique de « désintégration de l’ennemi » étant donné ses multiples tentatives d’évasion de la République. Du jour au lendemain, Maria, fichée elle aussi, disparaît sans laisser de trace. Ne reste alors pour Robert que le silence, et cette peur « qui avait rampé le long de son visage, jusque sous sa chevelure, et siégeait dans chaque pore. Avait gelé en lui, voilà des années ». Reste surtout ce long « entraînement à la patience », symbolisé par un rituel absurde, la convocation tous les mardis et l’attente interminable dans « la chambre jaune » pour une audience qui n’aura évidemment pas lieu.
En replongeant dans l’un des plus sinistres chapitres de l’histoire de ce qui fut longtemps son pays - la RDA, conduite quarante ans durant par le parti unique (le SED) et sa police politique (la Stasi) - c’est bien plus qu’une atmosphère grise et figée que Karsten Dümmel ressuscite. C’est un monde gagné par la moisissure et l’asphyxie, et dont le fonctionnement, hanté par l’idée du complot, aura poussé la perversion jusqu’à impliquer le corps social tout entier dans son exercice de contrainte, truquant les rapports entre les gens par le biais de « collaborateurs informels » recrutés au sein de la population. Il est vrai que les modalités de cette obsession délirante - l’espionnage, au cœur de ce que fut la réalité totalitaire et bureaucratique du socialisme est-allemand, Karsten Dümmel en connaît quelque chose, lui qui né à Zwickau en 1960, a subi l’intimidation, la persécution et la prison, pour se trouver littéralement « racheté » par l’Allemagne de l’Ouest en 1988.
Des voix enterrées
à l’intérieur d’elles-mêmes.

Le dispositif narratif qu’invente l’écrivain rend compte avec une efficacité redoutable de cette machine à surveillance généralisée dont le perfectionnement des méthodes a réussi à s’emparer du plus intime de la vie privée des gens. En construisant une sorte de puzzle où les pièces à assembler sont des fragments d’existences, des formes mutilées par l’arbitraire et l’absurde d’un pouvoir qui a décidé une fois pour toutes « que le vivant serait enterré, que tout ce qui tournait ou se mouvait différemment serait nivelé », l’auteur nous fait entendre des voix, comme enterrées à l’intérieur d’elles-mêmes et dont les résonances créent une perception percutante du sentiment de solitude, de claustration et d’angoisse ressenties au jour le jour par tant de citoyens, devenus comme Robert, des « cibles » à combattre. L’une des forces de cette construction qui fait fi du strict respect chronologique, est précisément son va-et-vient dans le temps, un éclairage habile pour montrer des années 49 jusqu’après la chute du Mur de Berlin, la funeste répétition des biographies scellées pour la plupart au nom d’ « agissements hostiles et négatifs ». Par-delà les parcours, entre autres, de Heinrich, criblé de balles non loin du Mur, après s’être évadé d’une maison de redressement, ou de Ludwig, le père de Robert, torturé et condamné pour avoir tenté de fuir à l’Ouest, Dümmel montre que les agents du système en sont aussi parfois les victimes. Ainsi de l’adolescente Johanna, moucharde malgré elle dont le suicide pourra seul faire taire la mauvaise conscience. Ou de sa mère Marlène, aveuglée puis totalement anéantie par les manipulations de son amant dont la trahison l’acculera à la folie…
Il n’est pas anodin que le narrateur ultime du livre soit la fille de Robert qui tente de comprendre le passé, malgré les trous, les contradictions et les « retouches » de son père dont elle questionne la mémoire au fil de ce qu’elle découvre dans « le dossier », une fois l’ouverture au public des archives de la Stasi en 1992. Mais peut-on jamais se réapproprier ce que la Stasi a volé de votre propre vie ? Les documents placés en tête de chapitre (protocole d’observation, d’écoute ou de filature, rapports, notes…), s’ils illustrent parfaitement la tyrannie administrative d’un régime fondé sur l’ambition du contrôle total de la population, son empêchement à penser (et à parler) différemment, permettent surtout de faire entendre la langue officielle de la RDA - davantage une rhétorique, dont l’irréalité même a réussi à introduire autocensure et autodiscipline dans l’esprit de son peuple. À moins d’avoir fait comme Robert K., comme Karsten Dümmel, Reiner Kunze et beaucoup d’autres, le choix inverse, car « Nous avons toujours le choix, / et serait-ce celui de ne pas nous plier / à ceux qui nous l’ont pris »

Le Dossier Robert de Karsten Dümmel
Traduit de l’allemand par Martine Rémon
Quidam éditeur, 192 pages, 18,50

Vies sous contrôle Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°108 , novembre 2009.
LMDA PDF n°108
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