Si l’activité tauromachique génère de plus en plus de controverses, elle a jusqu’ici développé une littérature totale et singulière. Parce qu’elle formalise un rite de mort ? Le 30 août 1985, le taureau Burlero (Moqueur) enfonçait une de ses cornes dans le cœur de José Cubero Sanchez, dit El Yiyo. D’accord, cela se passait en Espagne, mais le jeune torero était né à Bordeaux en 1964. Il n’en fallait pas plus au bouillant et tonitruant Gascon, résistant, aficionado et catho, Bernard Manciet (1923-2005), pour inscrire en une chanson de gestes éminemment lyrique, torero, taureau, mort, chœur et mouettes… Et ce dans l’impétueux souffle océan, atlantique, balayant le plus prégnant de son œuvre. Bien sûr, le dit du taureau est sujet à caution, ne se pose-t-il pas en victime expiatoire paternaliste ? « Tu seras le taureau et je serai l’enfant / tu seras l’enfant et moi le taureau / les houppes je serai et toi mes tonnes de peur / tu auras peur de moi le soir / j’ai toujours tremblé pour un enfant / moi le taureau je t’aimerai et tu t’en riras / tu m’aimeras pour rire. » La langue magnifique de Manciet, les images, les références, la poétique de l’Ancien Testament font de ce poème un chant somptueux (publié pour la première fois à l’Escampette en 1998). Une oraison funèbre où le mort s’écrie : « dans l’obscurité la fleur de / canna bat des paupières / qu’elle se hâte sa nuit sa mère » Le mitan de l’ouvrage ruisselle des sanguines de l’auteur où corps nus, homme et bête s’évitent, s’interpénètrent. Une ivresse, un orage de sang sur lesquels par l’intermédiaire d’un CD audio, la voix grave, légèrement mélancolique, un peu atone du poète libère un gascon sourd, féerique et hallucinant. « (…) il est temps désormais allons chercher ailleurs / maintenant que le navire mort incline sur une épaule absente/ sur voile cornue » : les Mouettes.
PER EL YIYO (+ CD)
de BERNARD MANCIET
Daqui, 58 pages, 14,95 € (bilingue)
Poésie Per el Yiyo
janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109
| par
Dominique Aussenac
Des livres
Per el Yiyo
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°109
, janvier 2010.