S’inscrivant dans la continuité d’auteurs néerlandais tels que Bert Schierbeek ou Gerrit Kouwenaar, F. van Dixhoorn (né en 1948) fut traduit une première fois dans l’anthologie Le Verre est un liquide lent (Farrago, 2003). On y découvrait déjà de façon saisissante le recours à un usage quasi littéral de la langue, la volonté de l’exposer dans sa plus grande clarté, voire d’en utiliser les données orales et quotidiennes. Demeure pourtant à l’intérieur de ses poèmes, une légère mais ténue étrangeté. Ils ne tombent pas dans la description plate. Ce qui est attendu, comme le récit minimal d’un voyage par exemple, d’un déjeuner, d’une marche, glisse au contraire vers d’autres cadrages où se mêlent sensations concrètes et décrochages visuels. Dans Jo la châtaigne, le huitième recueil de Séries, l’idée d’un retour d’une « soirée joyeuse / ses soirées joyeuses » est nommée d’un « 3. revient en roulant / c’est le froid / de la nuit passée / le froid / nous a pris », jusqu’à une sorte de redéploiement discret du départ : « 1. je recommence encore / joyeusement / que voyons-nous / quand notre œil / n’est pas sans cesse / obscurci / par déclic de paupière ». La structure prosodique de cette poésie, faite de micro ruptures, la sobriété extrême de ses énonciations, dont les effets sont aussi simples qu’un gros plan sur une poignée de porte dans un film, en font toute la force et la subtilité.
Le cinéma, d’ailleurs, ou le cadrage pictural, ne sont pas absents de la façon dont Dixhoorn conduit son poème, tant l’expérience de la perception, de la divagation du regard, y est centrale. Dixhoorn écrit le dehors, ce qui vient aux yeux et aux oreilles, chacune de ces opérations étant enchevêtrée à tout l’arrière-plan de la mémoire du sujet écrivant. Les sections en vers courts, secs, de ses séries, n’excédant jamais seize lignes, pourraient s’apparenter à un montage de bouts de pellicules, tant le basculement d’un élément à un autre y est rapide et elliptique. Dixhoorn passe de l’intérieur du crâne d’un conducteur à la pure notation perceptive, comme dans Moulin au soleil ce « buisson / une tache sombre au sol / un piéton arrêté » ou plus loin ce « bâton / vite trouvé / droit et en général rond ». L’affirmation, l’hypothèse, la chansonnette, l’énoncé ou ces « avalanches de pensées et d’idées » construisent toute la dynamique répétitive, mais sans ennui aucun, du poème de Dixhoorn. Les nombres, directement chiffrés dans le poème, participent au maintien de cette litanie, et apparaissent tout autant comme amorces de sections, que moment du battement de la syntaxe. D’ailleurs, dans sa présentation, Erik Lindner les ramène aussi à un exercice de marche qu’en réel le poème figurerait. Chemin de halage semble offrir la clé de ce décompte en rappelant peut-être les rives de l’Escaut occidental où Dixhoorn grandit : « entre les arbres j’arrive à quatre // toujours pareil non // comparable ». Ou encore d’un « frappant / le calme de ces bois/ vus comme ça du devant », Dixhoorn passe à « 1. à côté de l’envergure de l’arbre / le père et la mère sont couchés près de la tente / une circonstance atténuante / ils se sont endormis ». Le micro récit s’arrête toutefois car « 2. manque de place pour une énumération / presque pas d’écart de forces / en relisant / presque revenir en arrière / pour que plus tard je puisse encore / les reconnaître comme une représentation ».
Le monde de Dixhoorn se tient dans ces battements suspendus, y avançant l’expérience ouverte d’un infini de la sensation et celle d’une forme de contact avec la réalité. Par quoi remontent à nous « une musique, une danse de relations », qui bouleversent.
Séries de F. van Dixhoorn
Traduit du néerlandais par Kim Andringa
Présenté par Erik Lindner, Le Bleu du ciel, 210 pages, 20 €
Poésie Less is more
janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109
| par
Emmanuel Laugier
Première traduction intégrale des trois premiers recueils de F. van Dixhoorn dont la clarté et le minimalisme prosodiques réinventent nos façons de percevoir.
Un livre
Less is more
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°109
, janvier 2010.