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Domaine étranger Croissants de lune

février 2010 | Le Matricule des Anges n°110 | par Dominique Aussenac

En deux ouvrages enfumés, l’auteur serbo-canadien David Albahari se joue du néant. Métaphysique et burlesque.

On n’est jamais seul quand on est schizophrène. David Albahari n’est pas seul, même si la solitude l’envahit souvent. Il est écrivain, c’est-à-dire capable de rendre compte de toutes les voix en lui. « Quatre âmes dans un corps, je n’aurais jamais songé à une chose pareille. Je ne m’en sortais pas avec celle que j’avais, comment aurais-je donc fait si j’en avais eu plusieurs ? » (Sangsues). David Albahari pourrait être schizo, puisqu’il habite doublement la maison des muses, étymologiquement : la mosaïque. Premièrement, en tant qu’artiste, deuxièmement parce qu’il est issu d’un conglomérat éclaté de peuples d’Europe balkanique en voie de re-déposition, voire re-disposition. Entendez par là, qu’il est né à Pèc (Kosovo) en 1948, dans la Yougoslavie autogestionnaire de Tito, exclue par Staline du monde dit socialiste. D’une mère, qui dix ans plus tôt s’était convertie au judaïsme pour pas faire d’histoires (sic). En 1994, plus de Yougoslavie, mais un État serbe, ultra-nationaliste et donc dément, présidé par le sémillant Slobodan Milosevic. Opposant au régime, Albahari s’exile au Canada.
Il a depuis 1973 revendiqué un positionnement post-moderne et publié une douzaine d’ouvrages (nouvelles, romans, essais) où vibrionnent les questions de l’identité, du mal et de la perception. Le roman Sangsues relate la période sombre précédant le bombardement par l’ONU, en 1999, de l’État serbe. Période lancinante de peurs et de montée en puissance de l’intolérance et des exactions. Le recueil Ma femme évoque en dix-huit nouvelles les vicissitudes de la vie de couple, l’amour, le vieillissement, l’exil, une réflexion sur l’acte d’écrire et d’assumer la fiction. Les deux ouvrages, intrinsèquement différents - par le style, la construction, les relations à la collectivité et à l’intime - se rejoignent dans l’immense souci de retranscrire au plus près les sentiments premiers : l’inquiétude, la peur, l’émoi. Pas simple, pas amusant, non plus ; pour y parvenir, mieux vaut se donner un handicap. Pas vraiment le dérèglement total des sens, cher à Rimbaud, mais pas loin ! Parce que les chimères, les rêves, la mémoire, l’oubli, la fiction relèvent aussi de la réalité, les héros et personnages de David Albahari n’en finissent pas de rouler et fumer des pétards monstrueux. Ce qui engendre, entre autres, une destruction de l’espace et du temps avivant la perception. Dans Sangsues, à l’écriture drue, à l’architecture labyrinthique, le Serbe en exil met en relation des visions objectives (le narrateur, chroniqueur journalistique, est obsédé par la dispute d’un couple à Belgrade, au bord du Danube), des signes cabalistiques ou antisémites, des données chiffrées. « J’ai lu quelque part, ai-je dit, que le corps s’oriente dans l’espace, géométrique ou émotionnel, peu importe, en dessinant constamment des cartes mentales, et que c’est de cette manière que l’espace et les sentiments communiquent avec le corps. » Ces éléments se satellisent, paraissent s’agencer, se disloquent, disparaissent en fumée. Le narrateur enquête, ourdit des complots, se voue à la vindicte fasciste, se persuade qu’il est le Juif Errant, cet Eléazar, porteur d’eau et négociant en sangsues du XIXe siècle. Il se convaincra même qu’il peut sauver les juifs de Belgrade en s’accouplant avec Margareta, la Chekhinah, représentant la part féminine de dieu. Déçu sexuellement, frustré de vérité, manipulé, abattu moralement, envahi par la peur, il quittera son pays. Ici, une gravité absolutiste, mâtinée de fantasmagorie et de burlesque conduit à une beauté âpre, voilée, crépusculaire. Chagall, Buster Keaton, Kafka sont convoqués.
Des livres à la beauté âpre et crépusculaire.
Plus lunaire, mélancolique, fine, ironique, la beauté engendrée par le recueil Ma femme qui présente une construction à la machette, directe, féroce, émouvante. La femme du narrateur incarne, tour à tour, la dame à la fenêtre de l’amour troubadouresque, l’amour vieillissant, l’hydre moral et domestique, la conscience de l’écrivain. Elle ne cesse d’intervenir dans la création de son mari. Dans la première nouvelle, « Ma femme a les yeux clairs », le narrateur a juste pensé l’histoire, que sa remarque fuse : « Ceci est une histoire simple, me dis-je, elle ne comportera pas de phrases complexes. Ridicule, dit ma femme, cette phrase-là est déjà assez complexe. » Elle impose alors sa propre histoire qui déplaît fortement à l’auteur, mari virtuel mis à la porte. Les dialogues tendus, acerbes, les silences, les choses tues, routinières, prosaïques sont entrecoupés de rêves, d’indiens fantômes, d’envolées lyriques. Ces oppositions créent un humour vif, grinçant et une poésie décalée. Qu’engagent les mots, qu’engage la fiction ? Le réel nous blesse, la fiction, aussi, Albahari nous enchante, nous émeut.

Sangsues et Ma femme de David AlbaharI
Traduits du serbe par Gojko Lukic, Gallimard, 397 pages, 25,90 e ; Les Allusifs, 164 pages, 22

Croissants de lune Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°110 , février 2010.
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