Vigilance des sens, contemplation accueillante, c’est avec une conscience émerveillée et dansante que Jean Rodier parcourt le Haut Gévaudan, s’enchante de l’âpre beauté de ses hauts plateaux coupés de gorges inaccessibles. Mais ce sont surtout ses eaux vives qui le captivent et orientent ses vagabondages. L’odeur acide des prairies tourbeuses, la remontée vers les sources à travers vallons, drailles, « devèzes », les départs matinaux, la rosée qui doucement s’évapore, le chant du premier grillon, le miaulement d’une buse, voilà ce qu’il aime. Et c’est à le suivre qu’il nous invite, à partager la mystérieuse et familière intimité d’une nature à peu près préservée - même si cette démarche ne va pas de soi puisqu’elle consiste « à dévoiler ce qui ne se goûte que dans la solitude ou l’intimité », comme la pêche.
Une pêche, qu’il pratique « à la volante », avec des insectes naturels, qu’il faut savoir poser à la surface de l’eau. Pêche aussi tactile que sensitive, puisqu’elle suppose la lecture de la rivière, une approche subtile et l’art de détecter le poisson. Pratique de « l’abandon à ce qui n’est pas soi », cette pêche est quête de l’accord juste, bonheur de n’être que là. « Au bord du ruisseau, le temps vous abandonne vous n’avez plus d’âge. »
Pêche qui est aussi prétexte à se couler dans les sentes, à s’enivrer d’odeurs, à fouler ancolies, orchis, renoncules, avant de se mettre au diapason de ces ruisseaux aux noms évocateurs : le Chapeauroux, la Truyère, le Chassezac… Aventure du corps et du regard qui rime avec enthousiasmes et coups de gueule : contre le tout-à-l’égout « c’est-à-dire le tout-à-la-rivière », contre les plantations d’épicéas supplantant « la merveilleuse lande à callune » (bruyère), ou contre les « parcours sans tuer » dont les pendants sont tous ces « parcs » qui « exaltent comme sauvage ce qui n’est qu’avili, pour des visiteurs que rebute le pays tel qu’il est ». Un livre qui n’est qu’invite à respirer à l’unisson des paysages qui nous ressemblent.
EN REMONTANT
LES RIVIÈRES
de JEAN RODIER
L’Escampette, 120 pages, 14 €
Poésie En remontant les rivières
février 2010 | Le Matricule des Anges n°110
| par
Richard Blin
Un livre
En remontant les rivières
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°110
, février 2010.