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Domaine français Impitoyable

mars 2010 | Le Matricule des Anges n°111 | par Richard Blin

Précision du regard et musicalité, c’est de l’art d’écrire et d’une étrange histoire d’anges que nous parlent les livres d’Hédi Kaddour.

Les Pierres qui montent

C’est souvent autour d’un détail que texte et lecteur se rencon- trent : une anecdote, une sensation, soudain rejoignent notre propre expérience existentielle, s’accordent au rythme de nos propres émotions. Si la poésie en est la voie royale, le Journal, quand il abonde en notes et croquis, peut également s’y montrer propice. C’est le cas des Pierres qui montent - de Hédi Kaddour, auteur de Waltenberg et poète - un ensemble de notes et croquis couvrant l’année 2008. On y découvre un homme extraordinairement attentif à ce qui est comme à ce qu’il lit ou voit. Captant l’instant, un hasard cocasse, une scène de rue, une bribe de conversation, c’est la singularité du réel qu’il traque, ces riens qui trament le monde - infimes accidents de surface, signes où se nouent une détresse, un désir ou un destin. Choses lues, vues ou entendues (« Aérogare de Roissy. Enregistrement. Soudain une voix d’homme, angoissée, douloureuse : »Catherine, reviens !« La femme devant moi se retourne, contrariée. La voix de nouveau : »Reviens, Catherine !« La femme a le visage froid, dominateur, excédé. La voix une troisième fois : »Reviens, je te dis, je me suis trompé de chariot !« ) qui s’inscrivent dans une esthétique de la notation, un art du latéral et de l’instantané où cristallisent soudain une vérité inattendue, une émotion nue ou l’ombre d’un mystère.
 »Faire croire à la vérité, avant de dire vrai « .
Acuité, lucidité, perspicacité mises aussi au service de ses étudiants, ou des stagiaires des ateliers d’écriture de presse qu’il anime. D’où le côté pratique du livre. On y trouve en effet des exercices de concision et de condensation, destinés aux futurs journalistes -  »Au-delà de quatorze mots par phrases, on change de lectorat «  -, des analyses, des réflexions sur le mode du  »comme ça «  ou du  »comme si «  (mode habituel de la fiction), sur les façons de donner à voir, à entendre et à sentir ; sur les moyens de maintenir la tension, de jouer du rythme, du montage des faits et de la nécessaire harmonie de l’ensemble. Le tout entrecoupé des mises à nu de quelques procédés stylistiques comme le quatrième terme,  »en queue de scorpion « , d’une énumération -  »Langlée mourut, sans avoir jamais été marié. Le monde y perdit du jeu, des fêtes et des modes, et les femmes beaucoup d’ordures. «  (Saint Simon) -, la chasse aux points de suspension qui font l’effet  »d’ un rouge à lèvres qui bave un peu « , ou aux adverbes mous. Ce qui, au passage, nous vaut quelques jugements cinglants sur  »les phrases de coiffeur «  ou »la varicelle d’adverbes en « ment » «  de certaines pages des Bienveillantes de J. Littell, ou  »l’impression d’écœurement, de prémâché «  que donnent les livres de Christine Angot, Max Gallo, Alain Fleischer, Marc Levy, Amélie Nothomb.
Car la littérature est au cœur de ces pages, avec la lecture de Flaubert (Correspondance), Colette, Céline, Proust, Malraux ( »la façon dont il a renversé le rapport entre la vie et l’œuvre « ), Ernst Jünger ( »Il saisit la guerre comme une accumulation de défis faits à son œil, ses paragraphes et sa pensée « ), Beckett ( »théâtre de la joie mauvaise qu’on éprouve à voir l’autre dans le malheur ou la connerie « ), Nietzsche, Peter Handke, dont il prise  »la narration impersonnelle et chaude « , Baudelaire, et son Invitation au voyage relue par un hypocrite lecteur, capable de  »déchiffrer derrière l’âme en secret, la demande de l’amant secret à une femme qui jusque-là aurait manqué de chaleur « .
Capacités à saisir le réel, à déceler une autre vérité que celle qu’imposent les apparences, art du cadrage et art du retardement de l’essentiel, comment mieux les incarner qu’en les mobilisant dans un roman ? D’où Savoir-vivre, un roman divisé en 11 parties et 128 chapitres (une histoire de tempo, de présence) où l’on retrouve, à Londres, en 1930, deux »héros « de Waltenberg, Max Goffard et Lena Hellström. Il y cherche la matière d’un reportage, elle y est venue, avec son pianiste et amant, pour une série de récitals. Max et Lena, ex-amants mais amis, vont assister à un défilé d’anciens combattants, emmené par un colonel de réserve, l’un des héros de la bataille de Mons qui fit douze mille morts, en août 1914. Devenu maître d’hôtel, ce dernier va peu à peu se confier à eux, leur contant son histoire et son implication dans la Ligue fasciste. Et l’on va aller de surprise en surprise. Étonnante entreprise de désublimation (rendre aux faits tout leur poids de matérialité) et de déchiffrement, Savoir-vivre conjugue l’imprévisible et le nécessaire, la part d’ombre et la boiterie de la vie, sur le mode du »ça n’est pas possible « et du »ça ne s’invente pas « . Un roman dû, dit Hédi Kaddour à  »l’envie d’écrire quelque chose où je pourrais faire croire à la vérité, avant de dire vrai ". Et c’est magnifiquement réussi.

Les Pierres qui montent et Savoir-vivre
de Hédi Kaddour
Gallimard, 386 et 208 pages, 20 et 16,90

Impitoyable Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°111 , mars 2010.
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