Dans son septième roman Rose-Marie Pagnard poursuit son approche du merveilleux normal en s’attachant à cette part obscure que chacun d’entre nous s’applique à faire taire mais qui, ici, excentre les personnages d’eux-mêmes. Comme dans l’amour absolu, la folie ou la création. Un roman qui nous fait partager le libre jeu des images et des sensations qui agitent Ben, l’écrivain, comme le couple que forment Ania et Ennry. Lui, a été marqué par le suicide de son père, injustement accusé de vol ; elle, est une orpheline, placée dans un foyer pour « enfants spéciaux », puis adoptée par un couple d’ex-cascadeurs dont le mari bichonne des voitures sans roues aux vitres tapissées de plumes blanches. Ennry est devenu un brillant juriste qu’Ania a épousé et suivi à Tokyo.
Mais Ennry souffre d’un mal mystérieux, une folie dormante qui, une ou deux fois par an, le fait devenir « un étranger résolument imprévisible », en proie à toutes les terreurs ou cherchant partout son esprit : « Il s’est décousu de ma tête. Cette saleté s’est transformée en petit violon… » Se sentant le devoir de le protéger, Ania en devient parfois folle, errant dans les entrailles d’une gare, à la poursuite d’une femme démon, ou partant en quête de « la lumière capable d’éclairer la conscience d’Ennry ». Des tribulations dont Ben, à des milliers de kilomètres, perçoit les vibrations, lui qui aime Ania tout en la sachant inatteignable. Ce sont ces épreuves, saisies au plus vif de l’être, que décrit Rose-Marie Pagnard. La façon dont la folie et le rêve font entrer dans un rapport de jeu avec les apparences du monde : intensifications soudaines, embuscades internes, hallucinations, déliaisons, le monde devient un champ de métamorphoses où pensées et visions suivent des chemins aussi étranges qu’imprévisibles.
Un roman qui se souvient des thèses de l’antipsychiatrie - la « folie » est une expérience que l’individu doit accomplir jusqu’à son terme en étant accompagné seulement -, mais est surtout un bel éloge de la création, doublé de la certitude que le monde est énigme et doit le rester.
Le motif du rameau
et autres liens invisibles
de rose-marie pagnard
Zoé, 220 pages, 18 €
Domaine français Le motif du rameau
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Richard Blin
Un livre
Le motif du rameau
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°113
, mai 2010.