Orphelin irlando-indien et turbulent, naviguant de familles d’adoption en cellules de prison, « Spots », surnommé ainsi en raison de son acné virulente, récolte une balle dans la tête un jour qu’il avait décidé de passer à la vitesse supérieure et de braquer une banque, provoquant un massacre parmi les clients. Commence alors, comme en verso de ses illusions identitaires, un voyage initiatique au cœur des pages sombres de l’histoire américaine, soulevant une kyrielle d’interrogations : incarné en officier du FBI infiltrant le mouvement militant des indiens (l’AIM, inspiré par les luttes pour les Droits civils et les Blacks Panthers dans les années 1970), il découvre lors d’une descente que les rôles s’inversent, les fédéraux paraissent humains, les indiens traîtres et tortionnaires - et, de fait, « comment faire la différence entre les bons et les méchants quand ils tiennent le même discours ? » - voire pratiquent les mêmes actes ?
Catapulté, dans la peau d’un gamin de 12 ans, au cœur du campement aux odeurs pestilentielles de Little Bighorn - « les déodorants n’ont pas encore été inventés » -, quelques minutes avant la bataille contre Custer en juin 1876, il rencontre Crazy Horse « l’homme magique ». Arpenter les décombres de la bataille, « l’âme retournée », et devoir tuer, pour se venger, est ce qu’on attend de lui. « Ce petit soldat blanc mérite-t-il de mourir parce qu’un autre soldat blanc m’a tranché la gorge ? (…) La vengeance est-elle un cercle dans le cercle dans le cercle ? » De cette violence qui se nourrit d’elle-même, quasi auto-satisfaite, quelle rédemption peut surgir ? à quel prix ? Faut-il qu’Abbad, ingénieur auquel il apprend à voler fiche son avion dans le centre ville de Chicago pour qu’apparaisse l’ultime vérité ?
Dans ce roman pétri d’une pâte drôlement féroce (mais c’est que « Dieu est un mec qui a un foutu sens de l’humour »), autant que de rage et de chagrin, Sherman Alexie retourne comme un gant les apparences qui gouvernent le monde, et laisse deviner la part d’humanité qu’il y a à ne cesser de le questionner avec pour seul vecteur l’empathie. Quel que soit le coût de cette démarche, elle est réconciliatrice.
flight
dE sherman alexie
Traduit de l’américain par Michel Lederer
10/18, 201 pages, 7,40 €
Poches Flight
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Lucie Clair
Un livre
Flight
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°113
, mai 2010.