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L'Anachronique Cher Guillaume

mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113 | par Éric Holder

Merci pour ce courrier qu’on a pu lire dans le précédent numéro. C’est amusant de constater à quel point l’écriture dévoile un homme. Quelques mots suffisent à le cerner (Les mots savent de nous ce que nous ignorons d’eux, René Char ). Vous, ça se voit tout de suite que vous êtes un chic type. Je sens d’ici le plaisir qu’il y aura à vous répondre. Vous l’ignorez encore, mais nous allons passer deux jours ensemble (le temps consacré d’habitude à cette chronique). Une joie naît par avance de votre compagnie.
« (…) Depuis que je lis le Matricule, et de A à Z, et tous les mois, un curieux phénomène s’accomplit : (…) je traque les allusions à une éventuelle vie organique du magazine (qui êtes-vous ? De quoi vous nourrissez-vous ? Etc.) D’où ma joie, teintée de curiosité, quand je découvre la dernière chronique, laquelle (cf. l’ours) me semble lever un voile sur vos instances dirigeantes : » Thierry si vif « , » Philippe si attentif « . Très bien, mais encore ? Faut-il en déduire que Philippe est mou et Thierry égocentré ? »
Que nenni, cher Guillaume. Dépêchons-nous de rétablir la vérité. « Vif », c’est avoir une longueur d’avance, « attentif », une capacité de retrait. Si le Thierry se déplace, il faut traquer le Philippe. Le premier est disert, le second, laconique. Vous aurez compris que les deux sont liés par cette sorte d’amitié qu’on admire, dont on serait aisément jaloux, et qui craint l’exposition au grand jour, aussi fermons le ban. Je ne puis hélas lever le voile sur les « instances dirigeantes » du parti des livres, auquel, comme vous, j’adhère corps et âme. Je les fréquente trop peu. Notre dernière rencontre date d’à peu près dix ans. Une plage près de Montpellier. Thierry tendait le cou dans le soleil, Philippe préférait l’ombre sous la paillotte. Leur complétude signait un de ces moments qu’on croit avoir rêvé dans la vie, quand on reste étonné de tout, et qu’on sourit, semble-t-il, pour l’éternité. Le Matricule des anges était à ce moment-là visible. (Mais vous avez deviné cela, Guillaume, que les anges existent, et que leur survenue grave en nous l’envie de planer.)
Une piste pour l’envol : connaissez-vous Montolieu, le village du livre ? Il vous plairait, je crois. Il y a d’autres « villages du livre » : Bécherel, Redu, Hay-on-Wye… Y croise-t-on autant de belles personnes ? C’est qu’ici (là-bas) l’on tape la pétanque avec Laclavetine, l’on taille la bavette avec Pennac. L’on garde imprimée dans la paume la poignée de main de Bernard Lortholary (le traducteur, entre autres, de Robert Walser). Et la fille hyper-canon, dans la rue, s’appelle Anna Gavalda.
Un Saint-Tropez des lettres. Connaissez-vous Saint-Tropez ? Non ? Alors vous avez de la chance (ainsi qu’on le dit d’un livre formidable, et que vous n’auriez pas déjà lu). Il s’agit d’un village également beau, dont les pièces rapportées ont changé jusqu’à la couleur des volets. à Montolieu, pour avoir fréquenté des libraires, des écrivains, des traducteurs, donc, les habitants ont acquis une liberté, une délicatesse, un sourire immédiat qui se voient rarement ailleurs. Un concentré, en quelque sorte, de cette tolérance, de cette bienveillance qui caractérisent les lecteurs (-trices ).
Ce n’est pas loin de Carcassonne. Vous gravissez le plateau du Languedoc en direction de la Montagne noire - le romarin avant le sapin, ou plutôt : le pin de Douglas, gigantesque, au tronc fauve et à l’ombre bleue. Le bourg avance entre l’Alzeau et la Dure (deux rivières) comme le vaisseau dont parle Michaux : Emportez-moi dans une caravelle, / Dans une vieille et douce caravelle…
On se gare sur le parking en contrebas. On aperçoit au loin, juchés sur d’autres promontoires, une chapelle, des ifs. Des bignones, des passiflores, des rosiers (ça va être la saison) débordent de murs d’enceinte pour vous alpaguer dans des rues qui grimpent sec. Partout des librairies. « Ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval », dit-on en parlant d’argent. Ici, à peine soulève-t-on le sabot, on trouve encore une librairie.
Je ne sais pas vous, Guillaume, mais moi, ça me hallucine, ça me bouleverse, ça me chamboule, un village (728 habitants, je crois) avec des centaines de milliers (pour ne pas dire des millions) de livres dedans. On dirait que des voix murmurent depuis des soupiraux.
Je vous ai parlé tout à l’heure d’Anna Gavalda. N’imaginez pas que je m’attelle à son nom comme à celui de Saint-Tropez. Cependant, un jour, je me pointe, je me gare sur le parking en contrebas, un petit bonhomme de rien du tout (7 ans ?) m’observe sans bouger. Genre « Dessine-moi un mouton ». Un comme on n’en fait plus. Un attentif, les yeux grands ouverts, prêt à tous les contes, toutes les rencontres, confiant dans l’avenir, sûr que dans le monde des adultes (selon le mot de Genet à propos de Proust) il ira de merveille en merveille. Eh ! Où tu vas, bout’d’chou ?
Je lui demande :

 Tu connais Anna Gavalda ?

 Oui.
Lire change le visage d’un village et ceux de ses habitants.
Si vous allez à Montolieu, Guillaume, N’oublie pas de monter là-haut… Vous verrez un bel endroit (entre autres). Il est tenu par deux sœurs, derrière des volets bleu charron. On peut y boire et y manger. Il se nomme Les Anges au plafond. Buvez-y un thé, ou bien ce que vous voudrez. Vous ressentirez alors ce que je tâchais, pour moi, de vous transmettre, vis-à-vis de Thierry et Philippe. Le sentiment d’être accueilli.

Cher Guillaume Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°113 , mai 2010.
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