Certains objets agissent comme des témoins. Parmi ces choses qui accompagnent, mais conservent aussi les traces du moment de leur première apparition dans notre quotidien, chaque fumeur reconnaîtra dans un - son - cendrier une parcelle de soi, d’une époque. Florence Delay, fumeuse non repentie mais légèrement culpabilisée, est allée interroger ces gardiens silencieux d’un temps insaisissable, éthéré.
Mes cendriers est l’occasion d’évoquer les lieux, les événements qui ont présidé à l’acquisition de chacun, mais aussi les disparus, grands-pères maternel et paternel, père et mère, tous fumeurs, et, dans un rapport étroit à sa propre finitude - « avec eux, d’îlot en îlot, je remonte le temps pour m’en évader » - mettre en perspective des fragments biographiques.
Digressions linguistiques et érudites, (on y apprend au passage d’où vient le mot « trouille », certains rituels des corridas, le prix d’achat des cendres par les salpêtriers et les blanchisseurs…), jeux de mots (une cartouche de Gitanes devient un cartouche pharaonique, une rame de papier se transforme en métro) parcourent la langue de celle qui a « beaucoup traduit (…) du sioux, du navajo, de l’hébreu, du grec, des taureaux, alors pourquoi pas des cendres ? Ce serait un titre nouveau : traductrice de cendres ». Car écriture et fumée sont liées - le cigare d’Hemingway, la clope de Malraux, malgré les censures contemporaines grésillent encore, et dans leur rougeoiement se dessinent le rapport étroit entre la littérature et la vie, la présence au monde de l’écrivain et son obstination à vouloir écrire « l’ombre des mots ».
Dans cet effort pour maintenir la (sa) mort à distance, tout en la regardant - comme du coin de l’œil - le ton enjoué, léger, ne fait pas oublier à la chrétienne la parole biblique « tu es poussière ». Et que l’on soit « mécréant » ou pas, tel est bien ce qui persiste après la lecture - la grâce et la profondeur de cette conscience. Comme une fumée dansant au-dessus d’un cendrier plein.
MES CENDRIERS
de FLORENCE DELAY
Gallimard, 133 pages, 12 €
Domaine français Mes cendriers
mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113
| par
Lucie Clair
Un livre
Mes cendriers
Par
Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°113
, mai 2010.