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Histoire littéraire Lalou la passion

juin 2010 | Le Matricule des Anges n°114 | par Thierry Cecille

Eprise de l’œuvre de l’équatorien Gangotena, Marie Lalou lui a inspiré un amour sans espoir qui aura nourri sa propre poésie. échange des vers.

Aucune anthologie poétique, aucune encyclopédie littéraire, aussi exhaustive se voudrait-elle, ne semble avoir retenu le nom de Marie Lalou. À la décharge de cette omission, force est de reconnaître que l’œuvre de cette poétesse se réduit à sa portion congrue : une seule plaquette de vers, d’une quarantaine de pages, publiée dans l’immédiate après-guerre dans un tirage confidentiel, mais qui l’inscrit néanmoins dans la tradition de la poésie amoureuse féminine de Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore et Catherine Pozzi. Et n’était la fidélité posthume de son ami, le poète André Peragallo, nul doute que son nom eût sombré dans un définitif et irrémissible oubli.
En effet, c’est à la suite de la publication, par les soins de Claude Couffon, du premier volume des Poèmes français d’Alfredo Gangotena, poète-ingénieur équatorien, ami de Henri Michaux, auquel ce dernier dédia tout naturellement Ecuador, que le nom de Marie Lalou surgit des limbes où il était confiné : André Peragallo était en possession du manuscrit d’un long poème inédit de Gangotena dédié à Marie Lalou, « Jocaste », talisman de leur passion épistolaire.
On sait peu de choses de cette poétesse native d’Arras, sinon qu’elle fit un court séjour à Paris qui lui permit de se lier au poète-imprimeur Guy Lévis Mano, qu’elle entretint des liens d’amitié avec Jules Supervielle, Jean de Bosschère, Michaux, Paul Éluard auquel elle dédia un poème et Robert Desnos, qui lui trouvait un « côté Marie Laurencin » et lui offrit un exemplaire de ses Sans-cou joliment dédicacé en ces termes : « À Marie Lalou / En souhaitant que L’alou / Ette / Jette / Pour elle chaque matin / Son cri malin / 2 Août 1934 ».
« l’art de penser à autre chose, c’est exactement ce qui nous aide à nous installer le mieux possible hors de la réalité. »
Mais l’événement capital de sa vie sédentaire et recluse fut sans nul doute son amour impossible et absolu avec Gangotena. Six ans après la publication d’Orogénie par la N.R.F., ce dernier recevait, le 23 juillet 1934, une lettre ardente en provenance de Lille : « Alfredo Gangotena, Ici la France. Je vis dans les briques et la suie du Nord. (…) Je vous appelle S.O.S. (…) Il n’y a pas que des murailles et des barrières d’incompréhension partout. Je ne vous l’ai jamais dit : ma vie est insidieusement belle, toute bariolée de votre poésie depuis cinq ans (…). Ma petite voix d’ici la France vous touchera-t-elle ? Alfredo Gangotena, je vous aime bien. Marie Lalou ». Cinq mois plus tard, des Andes équatoriennes parvenait à Marie Lalou un long poème, « Jocaste », accompagné de ce message brûlant : « Permettez-moi de vous offrir, mais bien humblement ces quelques feuillets d’une passion qui certainement me mènera, dans son absence d’objet, jusqu’aux confins de la folie. (…) Une parole de vous, dans cette solitude de mon cœur me ferait ah ! le plus grand bien. (…) Écrivez-moi, je vous attends. Alfredo Gangotena ». Pendant deux ans, ces amants qu’un océan sépare s’écrivent avec toute la fièvre de leur passion. Gangotena accepte un poste à Paris, dans l’espoir d’enfin rejoindre cette femme idéalisée venue troubler sa solitude sentimentale. Il lui écrit le 15 avril 1936 : « Et me voici rentré en France, à Paris, tout près de toi. Et ce jour de notre rencontre me le permettras-tu ? Je vis de cette étonnante espérance. La nuit intime à partager. Réponds-moi, mon amour, m’as-tu déjà oublié ? ». Mais Marie Lalou se dérobe avec délicatesse, parce qu’elle est mariée et, surtout, parce qu’elle est paralysée par la myélite : « Il ne faut pas »vieillir dans l’attente« . Je suis là, maintenant, à jamais, pour toi, mon amour ».
Gangotena publie alors en avril 1937, dans les Cahiers GLM, une nouvelle version de son long poème « Cruautés », dédié à Marie Lalou dans lequel, selon Claude Couffon, « l’amour frustré pour cette Elle idéale et refusée y élève à nouveau ses images éblouies et nimbées de douloureux mystère ». Il retourne peu après en Équateur, où il mourut en 1944 sans jamais avoir rencontré celle qui avait su lui inspirer ses plus beaux poèmes d’amour. Quant à Marie Lalou, elle confiera que « cette liaison épistolaire, fortement ardente, a enrichi toute cette période de (s)a vie ».
Dans son appartement du boulevard de la Liberté, à Lille, Marie Lalou reçoit de jeunes artistes, peintres, graveurs et poètes, de la région, qui viennent chaque dimanche après-midi lire leurs vers, discuter des nouveautés littéraires, théâtrales, cinématographiques. Elle-même reste discrète sur son œuvre. Elle se décide pourtant à demander à André Peragallo d’aller porter à Paris le manuscrit de son recueil, ainsi qu’une lettre à Guy Lévis Mano. Cette chanson d’amour paraît, dans un tirage limité à 313 exemplaires, en juillet 1947, chez GLM. Elle y célèbre ce « vainqueur impérissable aux lèvres de dément » qu’est l’amour et si aucun poème n’est dédié à Gangotena, son ombre est inscrite en creux dans chacun de ces vers : « Moins vivante que lui, folle et sublime, mille fois dansante, / je l’attendais au cœur de mon royaume, / sans savoir lequel de nous deux j’étais ; / je l’attendais, ignorant ce que l’heure achève et ce qu’elle inaugure ».
Celle qui disait que « l’art de penser à autre chose, c’est exactement ce qui nous aide à vivre et à nous installer le mieux possible hors de la réalité » s’éteint le 18 juillet 1954 à Lille.

Lalou la passion Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°114 , juin 2010.
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