écrivain à l’œuvre protéiforme, Claro parle de la littérature comme si elle était l’air qu’on respire. Il ne cherche pas ses citations, n’hésite pas : son flot de parole, plus fluide que lorsqu’il s’agit de parler de sa vie, prend les questions qu’on lui pose comme un skieur efface les piquets rouges et bleus d’un slalom olympique. La pensée file vite rebondissant sans cesse sur des saillies humoristiques qui tentent d’atténuer toute sacralisation du geste d’écrire. On en oublie les tentatives de la chaleur d’août à se faire canicule, on en oublie l’heure et que le soir arrive. Il faudra poursuivre et passer de l’oral à l’écrit, mais aussi bien, on pourrait l’interroger sans fin.
On est frappé par la diversité stylistique et thématique de votre œuvre romanesque. En outre, vous traduisez différentes langues singulières (celle de Pynchon, celle de Rushdie, celle de Vollmann, etc.). Si, chez Pynchon, la paranoïa joue le rôle de moteur littéraire, ne serait-ce pas une forme de schizophrénie qui anime vos différentes écritures ?
La « schize » – si l’on veut bien réinjecter un peu de ludisme dans le terme… – est à la fois partition et moteur. Partition, parce qu’il faut une méthode pour éviter que se chevauchent des régimes d’écriture différents. Ce qui doit passer, transiter, migrer, quand on passe d’une traduction à l’autre ou de la traduction à l’écriture, ce ne sont pas des images rémanentes de style, des motifs, mais des formes d’énergie. Donc, il faut non seulement opérer une arborescence entre les tâches, mais faire en sorte qu’il n’y ait pas contamination mimétique tout en permettant des transferts de flux. Autrement dit, et plus simplement, éviter le plagiat mais profiter de la vague. Traduire est une forme de gymnastique, qui permet de tester des mouvements inédits, d’essayer des postures moins évidentes. De même, l’écriture régénère et assouplit le rapport au texte. Le Schizo et les langues de Wolfson pourrait être lu comme une métaphore du travail d’écrivain-traducteur…
Dans cette variété des livres que vous avez écrits, il y a un polar. Que vous a apporté l’écriture d’Éloge de la vache folle ?
J’ai toujours été ulcéré par le côté pompeux de ce que j’écrivais, qui venait d’une difficulté à introduire le poétique dans le romanesque. Le poétique arrivait avec ses pompes… Le passage par le polar m’a montré que je pouvais assouplir mon écriture, essayer d’autres choses. C’est à partir de là peut-être que j’ai commencé à changer.
Et, j’ai découvert que ce que j’aimais dans la vie, c’était l’humour et que jusqu’à l’écriture de l’Éloge de la vache folle je m’étais interdit d’en mettre dans mes livres. Le polar a commencé à assouplir les choses. Ce sont souvent les livres que l’on considère comme mineurs dans son parcours qui débloquent les nœuds. Un écrivain considère toujours que ses livres sont ratés… Mais c’est intéressant d’essayer de voir en quoi ils le sont.
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Claro
Jouissance du nouveau
Des phrases inouïes, des formes inventées, des mécaniques huilées à la rhétorique la plus folle, teintées d’humour et chromées par toutes les nuances de la langue : quand Claro soulève le capot de sa machine d’écriture c’est un V12 qu’il dévoile. Puissance, nervosité, souplesse. De quoi voyager vite et loin.