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Domaine français Réincarnation domestique

novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118 | par Sophie Deltin

Dans une fable intimiste sur la déréliction dans le mariage, Ying Chen interroge l’espèce humaine tout en donnant sa langue au chat.

Symbole du désenchantement moderne, le couple qui unit la narratrice – une femme sans nom – à son mari A., est morne, desséché. Entre lui, archéologue de métier, dont l’ego compte pour deux, et elle qui s’étiole chaque jour un peu plus dans l’attente du soir qui la verra « recevoir en pleine figure les paroles qu’il ne peut retenir en lui, qu’il déverse en (elle) à tout moment, plus librement qu’il ne peut le faire avec sa semence », ne reste plus que « la comédie » du mariage.
Depuis Immobile (Actes Sud, 2004) et Querelle d’un squelette avec son double (Seuil, 2003), deux de ses romans à décliner le thème de la disparition, aux autres, à soi, et à son propre corps, Ying Chen ne cesse de mettre en scène ce même mystérieux personnage féminin venu de nulle part, qu’elle décrit comme une forme qui erre et flotte au-dessus du monde, en marge de sa propre existence, qui meurt plusieurs fois mais qui revient toujours, au fil d’un temps brisé, instable et incertain.
Pour l’écrivain née à Shanghaï, qui a quitté son pays pour adopter au Québec la langue française, nul besoin d’éclat pour traduire ce genre de décalage, d’étrangeté au quotidien, et en quelques pages, la plume distante de Ying Chen fait du dépouillement des mots un outil efficace à l’excoriation qu’elle vise. Dans Espèces, cette fois, « la femme de A. » change littéralement de peau, transformée un beau jour en chat. Ce qui relève d’« un pur hasard » semble pourtant être naturel, et c’est tout aussi bien sans résistance que nous nous laissons à notre tour tomber « aux pieds de l’humanité ».
Devenue dans un premier temps invisible aux yeux de son mari, absente donc sans être morte, la narratrice peut voir sa vie depuis le refuge très confortable que lui offre sa nouvelle incarnation, assistant ainsi au spectacle de sa propre disparition. Une disparition mystérieuse, dont nul ne semble d’ailleurs très étonné, ni les voisins, ni le mari qui ne tarde pas à réinventer son quotidien et ses désirs. Une enquête finira bien par être ouverte, tant il est vrai que de cette maison encombrée de squelettes et de crânes jusque dans la cave, un enfant s’est déjà enfui – celui-là même que dans Un enfant à ma porte (Seuil, 2009), la narratrice recueillait et tentait d’apprivoiser, jusque dans la possession destructrice.
Enfin libérée de ses responsabilités et des contraintes sociales, la narratrice se voit désormais considérée, caressée, aimée par ceux qui hier ne la trouvaient « pas du tout assimilable ». Fort de son infériorité, désormais évidente au regard de l’évolution des espèces, elle apprécie « la vertu du contentement » et c’est à une vie plus simple, plus instinctive, qu’elle s’initie, jouissant de l’obscurité, de la lenteur, de l’insignifiance – d’une sagesse. C’est surtout sa sortie « en dehors des mots » qui l’allège, insiste mi-amère mi-enjouée l’auteur qui ne rate aucune occasion pour égratigner les travers d’une humanité perdue dans la conscience démesurée de soi et l’individualisme forcené. La romancière ne manque pas non plus d’ironie pour décrire jusqu’à l’absurde l’exaltation de la narratrice qui trouve dorénavant sa relation avec A. plus harmonieuse. « Nous sommes plus ensemble que jamais dans notre séparation » assure-t-elle, et dans son nouvel état de dépendance, fait de douceur, d’ignorance et de docilité absolue, « il m’est enfin possible de l’aimer de la façon qu’il aurait voulue ».
Parabole sur l’aliénation dans le couple, Espèces prend acte de son impossible comme relation égalitaire et épanouie. Entre dérision et désespoir, la créature hybride de Ying Chen joue il est vrai un peu trop des contradictions, sans compter les longueurs et un rythme narratif qui ronronne volontiers, du moins jusqu’à l’irruption dans le foyer d’une maîtresse de A. Reste pourtant préservée la puissance de questionnement de cette fable contemporaine qui fonctionne jusqu’à l’acte final dépourvu, lui, de toute ambiguïté.

Sophie Deltin

Espèces
Ying Chen
Seuil, 212 pages, 17

Réincarnation domestique Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°118 , novembre 2010.
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