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Domaine français Paysages sonores

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119 | par Jérôme Goude

Fort de la découverte d’un ouvrage recélant une étude sur des pierres chantantes, un compositeur part sur les traces d’un illustre géologue.

Quelque part sur un plateau du Luberon, Sven Langhens, un Danois à la stature imposante et pataude, effectue une tâche ordinaire. Penché au-dessus d’un évier, il s’applique à nettoyer scrupuleusement les moindres nervures d’une feuille de romaine. Alors que le récit inaugural de ce geste suscite un soupçon d’attente, Bande-son nous convie – subterfuge littéraire faisant – au repas singulier d’un gastéropode. Ayant rejoint la pièce insonorisée de son ancienne bâtisse, Sven s’apprête en effet à enregistrer le bruit amplifié d’un escargot grignotant la feuille de salade habilement déposée au centre d’une boîte en Plexiglas. Acousticien ensauvagé, il s’attache à transformer une kyrielle de sons naturels en un bestiaire insolite : entrechocs des dents de bébés mulots, mue de couleuvres, xylophagie des termites, butinage des abeilles dans les Lavandins, etc.
Artiste dont la pratique (fictive) n’est pas sans évoquer celle de Raymond Murray Schafer et Barry Truax – compositeurs canadiens qui forgèrent le concept de « Soundscape » pour désigner des œuvres produites à partir de paysages sonores réels –, Sven abandonne bon an mal an palettes et pinceaux. Après avoir étudié à l’Académie royale des beaux-arts de Copenhague, il voit sa vocation de peintre buter sur les Arènes d’Arles. Avec sa femme Gerda, il s’installe dans une ex-magnanerie, à proximité d’un petit village situé non loin de Cavaillon. Équipé de huit capteurs de chez Newmann et d’un enregistreur portable Edirol, Sven Langhens travaille à la capture d’imperceptibles déflagrations minérales quand l’ouverture d’un aéroclub l’oblige à s’accorder une parenthèse. Censé retrouver Gerda dans leur studio parisien, il tombe sur un alignement de cartons flanqués de post-it et, entre autres, la malle de son grand-père contenant un « flot de documents, de carnets », la rose des sables de Paul Klee et un livre broché sur la couverture duquel il peut lire : Traité des singstein, une étude sur les pierres chantantes de la région de Westphalie et d’ailleurs par M. Rudolf Erich Raspe.
Ficelle éprouvée, la rupture amoureuse, fût-elle provisoire, permet surtout à Bertrand de la Peine, dont le premier roman (cf. Les Hémisphères de Magdebourg, Editions de Minuit, 2009) offrait déjà une trame opaque, de changer de cap romanesque et d’affoler le sens de notre lecture. À travers une troublante métaphore filée du contenant (boîte à ne pas ouvrir, valise, caveau…), Bande-son enchevêtre, confronte ou concilie, deux histoires a priori hétérogènes, motifs technologiques et tournures surannées, passé et extrême contemporanéité. Ainsi, les « façades badigeonnées de couleurs gueulardes » de villages irlandais succèdent aux « parois de calcaires taillées à pic » du Luberon. Les investigations géologiques de l’auteur des Aventures du Baron de Münchhausen supplantent le matériel sophistiqué des installations électro-acoustiques. En visitant un site Internet dédié à Rudolf Erich Raspe, Sven Langhens apprend que cet ancien inspecteur du cabinet des antiquités et des médailles du Landgrave de Hesse fut contraint à l’exil suite à une affaire de soustractions et renié par sa femme : une certaine Elisabeth Maria née Langhens. Interloqué devant cette filiation inespérée, il contacte l’actuelle propriétaire de The Mansion, la « maison trapue de type georgien, ceinte d’un parc arboré », du Lord dédicataire de ce fameux Traité des singstein.
L’Irlande, pays des « noces morganatiques de l’émeraude éclatante des prairies avec le noir sec, anguleux, bossué du granit », est un écrin d’étrangeté idéal. Un révérend en scooter, la chapelle de Drumbullogue où s’élève une « pierre tombale enchâssée à la verticale », un homme à tout faire accro aux graines d’ipomée, l’allusion au Château d’Otrante d’Horace Walpole et des grottes condamnées d’où sourdaient d’inquiétantes voix, Bertrand de la Peine se joue des codes du roman gothique. Le domaine de Mrs Scott, vieille dame au regard myosotis, célèbre sa première cuvée de liqueur de poire lorsque Sven Langhens entame son « escapade irlandaise ». Décidé à percer la litanie cristalline de ce que l’écrivain et scientifique allemand a lui-même nommé les « singstein », notre peintre musical cherche à recueillir la moindre information relative à son exil dans le comté de Glemmay. Un carnet, dans lequel Rudolf Erich Raspe aurait consigné les derniers instants de sa vie, mentionne, parmi une collection de curiosités, la présence d’un miroir. Un miroir d’obsidienne ne reflétant que l’« ombre des êtres et des choses » et dont la pierre noire délivre, à qui sait entendre, un chant.
Envoûtante partition minérale, Bande-son ignore le passe-partout qui permettrait d’épuiser son interprétation et nous rappelle que la « réalité n’est rien d’autre qu’une illusion provoquée par un excès de tempérance. »

Jérôme Goude

Bande-son
Bertrand de la Peine
Éditions de Minuit, 123 pages, 13

Paysages sonores Par Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
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