Salué en 2002 dès la parution du premier volume de la série, le projet des Faits I, II et III de Marcel Cohen arrive à son terme. Le sous-titre du volume inaugural, à première vue provocateur, le présentait comme une « Lecture courante à l’usage des grands débutants », signe qu’il fallait y voir, d’abord, la propre leçon d’écriture qu’y prit son auteur lancé dans une opération de suppression des scories de son style. Sous la forme de compilations de textes brefs, il a retenu sans parcours ni signification imposés anecdotes, comptes-rendus, relations événementielles et chroniques du quotidien destinés à faire, ou non, impression sur leurs lecteurs, comme ils en ont faits sur lui.
Avec le souhait d’échapper à la routine romanesque, Marcel Cohen manifeste à travers ce patchwork sensible de faits choisis une nette volonté d’apporter sur l’époque un témoignage. Le témoignage subversif, apparemment en mode mineur, d’un homme révolté par la course à l’abîme d’une civilisation sans frein.
Avec la simplicité la plus grande, il relate dans son singulier journal intime ce qui, depuis la réapparition des cigales jusqu’aux plus graves obscénités de la vie sociale contemporaine, lui paraît essentiel, digne de son intérêt d’homme préoccupé des mots mais soucieux de ses contemporains. La somme composée dans la surprise, la colère, et parfois dans l’effarement, forme ce qu’on peut nommer, faute de mieux, un « pamphlet retenu ». Explications.
Les sujets très variés (le son des chaussures à talon des femmes, la pauvreté, l’angoisse d’une mère, etc.) sont-ils destinés à dresser un tableau panoramique de notre époque ?
Un tableau pointilliste, plutôt. Mais, en réalité, je n’ai pas l’ambition de dresser un tableau. Les sujets s’imposent tout seuls, au hasard. Très jeune, l’idée de choisir un sujet me paralysait. J’en suis venu à penser que tout sujet, aussi pertinent soit-il, est limitatif et que, de toute façon, l’important n’est pas là. Le livre est un espace en soi. Et c’est le lieu où notre expérience se concrétise et trouve sa forme. Dès lors tout pourrait, ou devrait, y entrer, sans hiérarchie. Pourvu que nous trouvions une forme. Bien entendu, le regard est tout sauf neutre et un écrivain est quelqu’un qui s’intéresse de près au fonctionnement du monde.
Ce fonctionnement du monde qui ne vous convainc pas. Etes-vous en colère froide contre le sort fait à l’homme ?
En colère ? C’est évidemment un euphémisme. Dans les grandes entreprises, nous sommes passés, en quelques décennies, du « directeur du personnel » au « directeur des relations humaines », comme si les relations d’individu à individu n’allaient plus de soi. Nous utilisons aujourd’hui le terme de « directeur des ressources humaines », comme on parle des ressources minières d’un pays. Cette expression a pour elle la franchise. Nous avons rencontré sur un quai du Havre, ma femme et moi, un jeune marin cambodgien qui gagnait cinquante euros par mois. Et...
Entretiens Colère froide
janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119
| par
Éric Dussert
Marcel Cohen clôt la trilogie de ses Faits, compilation de courts textes conçus pour contester sans effet de manche contre une société humaine qui va de mal en pis.
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