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Domaine étranger L’autre Amérique

janvier 2011 | Le Matricule des Anges n°119 | par Lucie Clair

Deux parutions pour découvrir les pays désenchantés de Frederick Busch, où la dignité humaine se révèle l’unique planche de salut.

Missions de sauvetage

La force de changer provient en bonne partie de la capacité à trouver l’équilibre entre l’intégration de son passé et son oubli. Dans ce processus qui met en péril les repères construits – ou oblige à revisiter ceux qui furent détruits – le cheminement est en boucle – allers-retours vers les lieux, les êtres qui nous ont marqués, aimés, trahis. Pour cette marche vers une nouvelle naissance, la solitude est de rigueur.
Les deux livres de Frederick Busch (1941-2006), Nord et Missions de sauvetage, fouillent les errements, hésitations, heureuses rencontres et désillusions qui parcourent ce chemin – et nous offrent chacune l’occasion d’approfondir les arcanes des ultimes ressources pour faire jaillir un peu de clarté du fond de l’obscurité. L’occasion aussi de connaître cet auteur, acclamé par ses pairs, peu connu, dont seuls cinq ouvrages à ce jour ont été traduits.
Jack, ancien membre de la police militaire au Vietnam, reconverti, comme nombre de vétérans, dans la police au nord de l’Etat de New York, puis en « flic privé » – des boulots de sécurité, sur des campus, dans des hôtels – est un de ces solitaires, le verso contemporain du lonesome cowboy, aux prises avec cette force de poursuivre, malgré tout, cherchant le ressort de l’existence sans bien en être conscient. Errant d’un trou perdu à un autre, tous interchangeables, il lui faudra, pour les besoins d’une mission – la quête du neveu de la séduisante Merle Davidoff, disparu – revenir au Nord, là où il résidait avec femme et enfant, avant que la tragédie ne le frappe – son bébé mort, son épouse, Fanny, perdue.
Pèlerinage à la fois anxieux et désabusé, qui le conduit à nouveau vers l’Amérique des zones rurales satellites, loin des centres d’intérêt touristiques, pas assez dotées pour compenser les rigueurs des hivers trop longs, trop rudes, des routes et des forêts détruites par la neige, des êtres isolés, rendus au vide ou à eux-mêmes au terme de trop nombreux mois de confinement. Pays toujours en bordure d’autre chose, d’un ailleurs plus excitant, plus dynamique « au nord d’endroits réputés pour la pêche à la truite comme Deposit. Au sud-ouest des Adirondacks. Au-dessus des Catskills. (…) C’était le pays décrit dans les livres de James Fenimore Cooper. (…) un pays rude. Aussi abîmé que les pires endroits de Nouvelle-Angleterre que j’avais pu voir. Plus lessivé encore par la pauvreté ».
Pays replié sur lui-même, comme le monde moderne, comme Jack et la plupart de ses contemporains, encabanés dans leurs secrets, dans leurs incapacités à dire – dans les chausse-trapes du langage, dans ses insuffisances tour à tour agaçantes et terrifiantes, dans les bienfaits du silence aussi. Celui des consolations impossibles face au cancer de son ancien collègue Elway, des regrets interdits de son aventure sans lendemain avec la tendre Sarah. Sur fond de culture de cannabis et petits trafics locaux, Jack, déjà campé dans le premier roman de Busch traduit en français (Filles, Gallimard, 2000) est l’anti-héros de cette Amérique banale, oubliée – et qui pourtant en constitue toute la chair.
Même décor à quelques exceptions près – un écart dans les vignes françaises, un séjour à Dublin – pour les protagonistes du recueil Missions de sauvetage. Quinze éclats d’humanité résidant au cœur des déclassés, rejetés à la marge des villes, déboutés des campagnes qui les effraient – ni agriculteurs, ni bourgeois, un peuple de survivants au quotidien, tenancière d’un coffee shop, puéricultrice d’un jardin d’enfant, agent immobilier, vendeur de peinture – ou déracinés au sein des métropoles, sournoisement nostalgiques de l’apparente simplicité de la vie là-bas. « Dans ces petites villes, c’était facile de vivre en donnant aux souvenirs de son adolescence autant d’importance qu’à ce qui se passait chaque jour quand on avait trente ans. Parce que chaque jour vous vous rappeliez ce que vous aviez été, à l’endroit exact où vous aviez réussi et échoué. Chaque jour vous ressentiez ce qui manquait à votre vie et ce qui n’arriverait jamais. »
D’avoir quitté ces lieux, connu autre chose – quitte à ce que ce soit les guerres d’Irak, ou de Corée – les personnages de Missions de sauvetage lorsqu’ils y retournent découvrent les limites du désir de porter secours – à soi, aux autres – et la fausseté de l’apitoiement. C’est que l’ignorance règne en maîtresse sur les destinées humaines, qui conduit Jack à « (s)’émerveiller constamment de tout ce monde partout et du peu de personnes qui savaient quoi que ce soit de moi, ou des autres, ou peut-être d’elles-mêmes », ou la jeune Jill à ne pas pouvoir échapper à l’homme qui la battra à mort.
Ce qui se transcrit là est la part ténue des moments où s’infiltrent tentations de renoncements, trahisons, dans les petits détails quotidiens, ramassés et épinglés avec la ferveur d’un entomologiste au fil des pages. Proche d’un Russel Banks (époque des Lendemains qui chantent), l’écriture de Busch est apte à en rendre toutes les facettes, toutes les aspérités, comme les capteurs de notre environnement, de ce que nous nommons réalité.

Lucie Clair

Frederick Busch
Nord et Missions de sauvetage
Traduits de l’américain par Stéphanie Levet
Gallimard, 365 et 378 pages., 23,90 et 24

L’autre Amérique Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°119 , janvier 2011.
LMDA papier n°119
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