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Essais En toutes lettres

mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121 | par Jean Laurenti

Traduite dans son intégralité, la Correspondance de Michel-Ange donne à mieux connaître le quotidien d’un artiste tourmenté.

Michel-Ange : Correspondance

La Correspondance de Michel-Ange offre au lecteur une expérience singulière, celle de se confronter au propos ordinaire d’un être d’exception. Des mots rédigés en ces temps lointains où Michelangelo Buonarroti, juché sur un échafaudage, peignait au prix de grandes fatigues les fresques de la Chapelle Sixtine ; ou des décennies plus tard, à l’époque où il supervisait l’achèvement du chantier de la basilique Saint-Pierre de Rome.
Les premières lettres datent de 1496, Michel-Ange étant âgé de 21 ans ; la dernière de 1564 et précède de peu sa mort à l’âge de 89 ans. Le vertige éprouvé vient avant tout de la personnalité de l’auteur de ces lettres. Qui d’autre que Michel-Ange, en effet, incarne à un point si élevé le génie touché par la grâce ? Et comment le lecteur qui n’est ni spécialiste de l’histoire de l’art ni de celle de la société italienne renaissante peut-il se saisir de paroles originellement destinées au cercle de la famille et des amis ou à celui des prestataires, des collaborateurs et des commanditaires de l’artiste ? Les questions qui se posent face à toute correspondance privée prennent avec une telle personnalité un tour plus aigu. Qu’est-ce que ces lettres peuvent nous dire de cet homme hors du commun ? Ou encore, en quoi apportent-elles un éclairage sur l’œuvre, et peuvent-elles contribuer à ce que nous en ayons une connaissance plus aiguë ?
L’attente d’une plus grande intimité avec l’acte de création de Michel-Ange apparaît rapidement assez vaine. L’artiste ne cherche nullement à offrir à ses travaux un quelconque éclairage qui en rendrait la genèse plus compréhensible. Pas plus d’ailleurs qu’il ne désire susciter chez ses interlocuteurs un sentiment d’admiration ou de dévotion à l’égard de son talent : seule semble compter la prise en compte par ses interlocuteurs de son intégrité, leur perception de son engagement physique et moral dans son labeur. Michel-Ange est un homme habité par l’obsession du calcul et son corollaire, la hantise du gaspillage. Sa correspondance qui accumule les chiffres, compare débits et crédits, rend compte de recherches constantes d’investissements sûrs (maisons, terrains) pour les gains péniblement amassés.
Face à un cycle de fresques, à l’extraction de marbres, à leur transformation en sculptures admirées de tous, il y a sur l’autre plateau de la balance l’équivalent en temps, en souffrances, en privations de tous ordres. Notre désir d’entrer dans les arcanes de la création s’inscrit dans une vision romantique de l’art, affranchi des contingences sociales. Là aussi la Correspondance de Michel-Ange nous débarrasse d’un contresens : le génie toscan est avant tout un artisan soucieux de la satisfaction de ses clients, dur à la tâche, scrupuleux et cependant certain de sa valeur. Retenu à Bologne où il exécute une commande pour le pape Jules II, il répond à son frère qui s’étonne de son retard à regagner Florence : «  (…) je vis ici en très grand inconfort, avec d’immenses fatigues, ne faisant rien d’autre que travailler jour et nuit (…) ; car ce fut un énorme travail et, s’il avait été confié à un autre, il aurait échoué ».
La préoccupation majeure de l’artiste est d’offrir aux siens (son père, ses frères, plus tard son neveu) les moyens d’une position sociale et d’une respectabilité que les temps politiques tourmentés que connaît Florence et les choix hasardeux de la famille ont quelque peu érodés. Bien que célibataire et souvent éloigné des siens restés en Toscane, Michel-Ange se comporte en pater familias qui administre à la volée sermons, conseils et récriminations destinés à maintenir ou ramener ses interlocuteurs dans le droit chemin : acheter des propriétés au meilleur prix, s’installer à son compte dans un atelier, vivre dans une saine frugalité, fuir le danger quand il s’approche, ne pas froisser le parti au pouvoir, remercier le Ciel de ses largesses. À son neveu Leonardo il conseille de choisir une épouse « à laquelle tu puisses commander, et qui ne veuille pas rechercher le luxe, ni aller chaque jour aux banquets et aux noces. Parce que, là où il y a des mondanités, il est facile de devenir une putain (…)  ».
Quoique bourrue et peu expansive l’affection de l’artiste pour les siens transparaît fréquemment. Il lui arrive aussi d’écrire des paroles de rupture dont le sens réel nous échappe, les lettres étant à sens unique. La brouille n’est cependant jamais définitive et le dialogue reprend ensuite, jusqu’au décès du parent. La très longue existence de Michel-Ange lui vaudra de perdre de très nombreux proches et la Correspondance prendra dans les dernières années un tour de plus en plus douloureux avec les morts successives d’Urbino, son fidèle assistant (« en mourant, il m’a appris à mourir »), et d’amis qui partageaient son intimité à Rome.
Cette Correspondance au contenu austère n’ajoutera rien à la légende. Elle lui offrira simplement un contrepoint émouvant, rappelant au passage une vérité élémentaire : ce qu’un artiste a à nous léguer est tout entier contenu dans son œuvre. Quand on enlève celle-ci, il reste l’homme. Ce qui quelquefois est encore beaucoup.

Jean Laurenti

Michel-Ange : Correspondance/Carteggio
Édition (bilingue) établie par Adelin Charles Fiorato
Les Belles Lettres, 262 et 276 pages, 75 les deux volumes

En toutes lettres Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°121 , mars 2011.
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