Jorge Herralde, fondateur des éditions Anagrama, revient sur la collaboration qu’il a eue avec Roberto Bolaño à partir de 1996. Un compagnonnage qui ressemble à un conte de fées éditorial…
Comment en êtes-vous venu à publier Bolaño ?
Un jour, nous avons reçu le manuscrit de La Littérature nazie en Amérique. Une surprise totale. C’était une œuvre d’une grande qualité écrite par un inconnu, qui me rappelait aussi bien La Synagogue des iconoclastes, du romancier argentin Rodolfo Wilock, que Borges, ou Marcel Schwob. Et puis j’ai reçu de Bolaño une note écrite : il avait déjà passé un contrat avec un autre éditeur pour sa publication.
Ce qui m’émeut le plus, c’est d’avoir suivi sa carrière de bout en bout, depuis étoile distante, roman court que j’ai tout de suite considéré comme un petit chef-d’œuvre et que nous avons publié en 1996. Contrairement aux légendes de l’auteur maudit qui l’entourent, dès 1998, il a bénéficié d’une vraie reconnaissance grâce aux Détectives sauvages, livre qui avait gagné notre prix pour les textes romanesques inédits (un prix dont avaient été récompensés Pombo, Pitol, Marías, Vila-Matas ou Alan Pauls…). Puis il y a eu le prix Rómulo Gallegos, le plus prestigieux d’Amérique latine : Bolaño devenait l’un des plus grands auteurs de langue espagnole de notre temps. On commença alors à traduire ses textes dans différentes langues.
Après sa disparition, Anagrama a publié six titres posthumes dont 2666, le grand roman sur lequel il a travaillé tant d’années et qui, pour beaucoup, est la pièce maîtresse de son œuvre.
êtes-vous intervenu sur certains textes lors de leur publication ? Se désintéres-sait-il vraiment de ses textes, comme
il l’a prétendu, une fois le manuscrit achevé ?
Lorsque Bolaño livrait ses textes, c’était pratiquement toujours impeccable. Je ne suis intervenu que pour lui conseiller quelques suppressions dans Les Détectives sauvages. Conseils dont il n’a d’ailleurs tenu compte que dans deux cas. Je lui ai aussi recommandé de changer un titre, en choisissant Nocturne du Chili, plutôt que Tempête de merde, sans doute légèrement dissuasif !
Disons que c’est un titre qui témoigne d’une conception assez radicale, pour ne pas dire révolutionnaire, de la littérature…
Bien sûr. Nous avons quelques titres « radicaux » de ce genre chez Anagrama, notamment de Bukowski (La Machine à baiser ou Erections, éjaculations, exhibitions…). Mais dans le cas de Bolaño, ce titre aurait pu éloigner certains de nos lecteurs. D’ailleurs, Bolaño lui-même a fini par préférer Nocturne du Chili à Tempête de merde. Par la suite, je me suis rendu compte que notre ami commun, l’écrivain mexicain Juan Villoro, n’appréciait pas non plus ce titre…
Selon vous, pourquoi Roberto Bolaño s’est-il consacré à l’art romanesque alors qu’il s’est considéré avant tout comme poète, depuis l’époque des infrarréalistes jusqu’à la fin de sa vie ?
D’après ses...
Dossier
Roberto Bolaño
« Le triomphe de la vertu littéraire »
mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121
| par
Etienne Leterrier-Grimal
,
Chloé Brendlé