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Intemporels Dans la brume

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Didier Garcia

L’écrivain américain Tim O’Brien entraîne le lecteur dans la jungle du Vietnam et dans des fragments d’histoires sans début ni fin.

A propos de courage

À l’âge de 22 ans, Tim O’Brien (né en 1946) est enrôlé dans la guerre du Vietnam, de laquelle il revient deux ans plus tard, mais la mémoire encombrée d’images. Vingt et un ans après, il décide de coucher sur le papier ce qu’il a vécu « au pays des fantômes », transformant alors ses souvenirs en histoires. Des histoires de guerre forcément, donc pour la plupart à peine crédibles, mais moins une histoire de guerre est crédible et plus elle paraît vraie, parce que la réalité de la guerre reste toujours incroyable.
Dans ce paradis du mal qu’était alors le Vietnam, il y avait de quoi devenir fou, ne serait-ce qu’en pensant à toutes les façons dont on pouvait y mourir, celles auxquelles on pouvait naturellement s’attendre, et celles que l’on n’imaginait même pas, comme de mourir à cause d’un virus (cela paraissait à la fois trop bête et trop simple). Autour des gars qui appartenaient à la même section que Tim O’Brien, il y avait les Willie Peter, ces bombes qui répandaient du brouillard, comme si la jungle et les rizières ne produisaient pas assez de brumes. Et il y avait ces paysages, qui ne laissaient pas les esprits sereins, surtout la nuit, durant laquelle, à force de guetter des bruits, ils finissaient par entendre n’importe quoi : « il semblait que le Vietnam entier était vivant et brillait de tous ses éclats – des formes bizarres ondulaient dans les rizières, des pères fouettards en sandales, des esprits qui dansaient dans de vieilles pagodes. » Durant ces nuits sans sommeil, tous avaient peur de mourir, et plus encore de montrer qu’ils avaient peur.
On l’imagine sans peine, À propos de courage porte son lot d’horreurs et de morts. Vous avez Ted Lavender par exemple, mort d’une balle dans la tête. Et puis Curt Lemon, que vous verrez d’abord rire, dire quelque chose à l’un des gars, faire un pas de côté, poser le pied sur un chargeur qui explose, son corps déchiqueté se retrouvant suspendu aux branches des arbres, et ses copains se voyant contraints de ramasser ses morceaux (un souvenir obsédant, qui revient de lui-même, et qui réapparaît d’ailleurs plusieurs fois). Et aussi l’homme qu’O’Brien a tué, moins pour le faire mourir que pour le faire disparaître, « le faire s’évaporer » – selon l’auteur, c’était un homme jeune, qui ne semblait pas taillé pour la guerre, et qui devait préférer les mathématiques. Mais à côté de ces horreurs sans nom, il y avait aussi des moments de paix, de calme profond, et le plaisir étourdissant d’être encore en vie à la fin d’un combat, même si l’un des leurs avait été tué.
Entre deux embuscades, Tim O’Brien prend le temps d’évoquer ses copains, ce qui nous rappelle qu’il est bien question d’êtres humains, détail que nous avions presque oublié. Son regard se laisse alors attendrir par ces soldats qui sont encore des gamins. L‘un d’eux emportait toujours avec lui les lettres d’une jeune fille, autrement dit cent dix grammes de bonheur pur. Tel autre gardait précieusement la photo de sa petite amie, ou d’une fille qu’il aimait, seule présence qui le rattachait encore à son propre passé. À cette vie d’avant dont ils n’étaient pas encore rassasiés.
Le plus étonnant finalement, c’est qu’O’Brien ne dit jamais que la guerre c’est l’enfer (à l’évidence, le truisme n’est pas son fort). Il le montre. Le donne à lire, ce qui est beaucoup plus efficace. Mais pour l’écrivain qui se souvient et qui tente d’enfermer ses souvenirs dans l’épaisseur d’un livre, au-delà du Vietnam il y a toujours la littérature, et avec elle la question de ce qui s’écrit. Celui qui sera récompensé par le National Book Award en 1979 pour À la poursuite de Cacciato n’hésite pas, entre deux histoires, à se poser, réfléchir sur ce qu’il est en train d’écrire, cherchant surtout à savoir s’il raconte la vérité ou s’il ment, s’il s’invente du passé (c’est un peu comme s’il revenait vingt ans plus tard sur les lieux : en apparence, tout est rigoureusement comme avant, et pourtant tout a changé – la guerre n’est plus là).
À propos de courage reste un livre dur, douloureux, souvent poignant, mais quelque chose dans ses phrases (leur longueur peut-être, ou leur fluidité, cette sincérité et cette humanité qui affleurent presque sous chaque mot) nous arrache au présent de la guerre et nous entraîne ailleurs. Où exactement, il est difficile de le dire. Vraisemblablement à l’intérieur d’un livre, qui s’écrit aussi bien avec la mort qu’avec la beauté, les deux se mêlant alors en une réalité qui est peut-être exclusivement littéraire, mais qui n’en a pas moins le mérite de séduire, et dans une écriture qui a le pouvoir d’un démiurge : « dans une histoire qui est à peu près l’équivalent d’un rêve, les morts sourient et s’assoient et reviennent parmi les vivants ». Cela rend la guerre un peu plus supportable.

Didier Garcia

À propos de courage
Tim O’Brien
Traduit de l’américain par Jean-Yves Prate
Gallmeister, « Totem », 272 pages, 9,20

Dans la brume Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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