Ils ne passent pas inaperçus : petits formats, couvertures noires piratesques, textes composés fer à gauche, le tout illustré avec une discrète efficacité. Ambiance contrebande & anticipation. Depuis 2009, la collection « Le Répertoire des îles » publie peu mais bien. Une poignée de livres qui conjuguent l’utopie à tous les temps, et sous toutes les formes (pamphlet, rêverie, fiction). Elle est accueillie par Burozoïque (un clin d’œil à Spirou), maison d’édition d’art contemporain, créée deux ans plus tôt. « Qu’est-ce qu’une utopie ? Un rêve non réalisé, mais non pas irréalisable », dit l’anarchiste Joseph Déjacque dans Humanisphère, qui ouvre le catalogue. À coups d’inédits et de rééditions (L’An 2440 de Louis Sébastien Mercier, Paris en songe de Jacques Fabien), la collection interroge les figures du possible. Et leurs ressources semblent inépuisables. Tel l’étonnant La Soi-disant utopie du centre Beaubourg (1977) de Charles Meister. Le sociologue imagine un lieu de vie (et de création) dans les sous-sols du « Mausolée de la culture plastronnante ». Miroir inversé où la pratique de la liberté sera la seule règle… Tel L’Affaire Furtif, inventif en diable, du nom de ce navire (et de ses passagers) mystérieusement disparus. Sylvain Prudhomme donne là un texte brillant et encyclopédique : pastiche du roman d’aventures, parodie du système médiatique, etc. Pour dire au final comment quelques esprits innovants auront révolutionné leur discipline (architecture, musique, botanique…) jusqu’au bout d’une retraite désolée.
À la croisée du politique, du social et de l’imaginaire, cette collection, mobile dans ses propositions, radicale dans ses partis pris, est animée par Mathieu Larnaudie. Écrivain (son dernier récit, Les Effondrés, décryptait le naufrage de la finance mondiale), il codirige également les éditions Inculte.
Dans quelles circonstances « Le Répertoire des îles » s’est-elle créée au sein de Burozoïque, une maison d’édition tournée vers l’art contemporain ?
Le prétexte à la création de cette collection a été, de fait, en lien étroit avec l’art contemporain. J’ai été contacté en 2007 par le collectif Ultralab pour participer à son exposition au Jeu de Paume, intitulée « L’Île de Paradis ». C’est à cette occasion que j’ai rencontré Frédéric Bortolotti, l’un des membres d’Ultralab, qui est aujourd’hui le directeur artistique de la collection. Je connaissais déjà, par ailleurs, Stéphanie Méséguer, l’éditrice de Burozoïque, pour avoir travaillé avec elle lorsqu’elle était assistante éditoriale aux Petits Matins, où j’avais publié un livre. Après l’exposition d’Ultralab, et nos discussions sur l’idée d’utopie, nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas de lieu éditorial entièrement dévolu à cette question. C’est donc sur leur initiative que cet attelage à trois s’est mis en place.
D’où vient ce goût pour les écrits sur l’utopie ?
Certainement de parcours de lecture respectifs et un peu...
