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Domaine français L’esprit de Conrad

septembre 2011 | Le Matricule des Anges n°126

Outrance et outrage, fantasmes et illusions, c’est la magie africaine, ses plaies et ses infamies, que déploie le nouveau roman de Jean Billeter.

Les Anciens Dieux blancs de la brousse

Indéniablement, Jean Billeter sait se renouveler. Après la trilogie Enfer-Purgatoire-Paradis que formaient Dans la chambre du pornographe, Raspoutine et la biche fauve et Parfois si louve… (Jacqueline Chambon), voici un roman sur l’Afrique. L’Afrique des Éléments mais surtout l’Afrique confrontée à son histoire douloureusement chaotique. « Shakespeare, s’il vivait aujourd’hui, n’irait pas chercher son inspiration dans les brumes d’Ecosse ou du Danemark, mais ici, en plein soleil africain, où l’histoire charrie encore tant de bruit et de fureur. »
Nous sommes en Haute-Volta, au début des années 80. Mitterrand a été élu président des Farançais, comme disent les Voltaïques dans leur succulent « français-façon ». La Haute-Volta qui n’est ni le Congo et ses mines, ni le Gabon et son pétrole, ni le Niger et son uranium, ni la Centrafrique et ses diamants, est « juste un réservoir à main-d’œuvre bon marché pour les plantations ivoiriennes ». À Ouagadougou, la capitale, les coups d’État se succèdent. L’armée n’est plus un arbitre ou un garant des institutions mais un moyen d’accéder au pouvoir et de s’y maintenir (difficile de retourner dans sa caserne après avoir « goûté aux délices du couscoussier national »). Au nom de l’assainissement, de la justice sociale et de la démocratie, on s’entre-tue tout en clamant bien haut la nécessité de débarrasser « la terre des Mossi et des Samos » du Dieu blanc et de ses favoris. Le général, puis le colonel et enfin le commandant qui prirent successivement le pouvoir sont accusés de faire « du redressement pour le progrès national avec la bouche ». Dans l’ombre, des officiers se rassemblent autour du capitaine Sankara pour préparer un nouveau putsch – qui verra la Haute-Volta devenir le Burkina Faso, « le Pays des hommes intègres » –, le tout sur fond d’ingérence française et de guerre entre idéologies concurrentes – les pro-soviétiques, les pro-chinois, les pro-albanais – tandis que le pays s’enfonce toujours plus dans la gabegie.
Un climat de « complotite aiguë » qui ne laisse pas indifférents ceux que l’Afrique a hypnotisés, qui se sont comme enkystés en ce pays, des emprisonnés de l’aventure coloniale – homme d’affaire, aviateur « incollable en histoire sainte, en poèmes calligrammes et en gastronomie belge », arpenteur du désert, journaliste revenu de tout, ancien légionnaire, ou citoyen suisse, « don Quichotte version Croix-Rouge », égaré sous le tropique du Cancer.
C’est cette réalité diverse et stratifiée, composite et discontinue que Jean Billeter donne à partager. Tandis qu’au nord le désert avance impitoyablement, que les Touareg poussent leur ombre « au bord de leur propre mort », plus au sud on fume la cigarette contrebandée, on boit le dolo – la bière de mil locale – ou le « Coca coranique » (la moitié du verre est rempli de whisky), on cherche des « Bic fétichisés zéro-faute pour passer les examens » ou on « roule ministre dans de grosses Mercedes avec chauffeur » tandis que les « boutiques mon cul » affriandent les clients.
Multipliant les points de vue, le récit mêle évocation du passé et situation présente, entrelace les sensations physiques à l’érudition, au parler populaire et à la puissance corrosive de l’ironie. Plus qu’une initiation à l’Afrique, c’est la pulsation fiévreuse de la réalité africaine que nous transmet Jean Billeter. C’est l’expérience de la dissonance, le combat des hommes contre cette « matière noire » qui détruit l’âme qu’il explore. Avec la lucidité nue d’un Conrad – Korzeniowski de son vrai nom, dont on croise l’ombre sous les traits d’un personnage homonyme. Car c’est depuis la ligne d’ombre derrière laquelle est embusqué le destin de chacun qu’écrit Billeter, un destin qui n’épargne personne, ni les anciens frères d’armes ni ceux que la brûlante magie africaine a jetés vers le drame et la nuit pour le meilleur et pour le pire.

Richard Blin

Les Anciens dieux blancs de la brousse
Jean Billeter
Fayard, 448 pages, 22,90

L’esprit de Conrad
Le Matricule des Anges n°126 , septembre 2011.
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