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Domaine étranger Trous d’existence

octobre 2011 | Le Matricule des Anges n°127 | par Sophie Deltin

Au diapason des angoisses de notre époque, le nouveau roman de l’Allemande Katharina Hacker place la perte d’intégrité au cœur de la vie de ses personnages.

Les Fraises de la mère d’Anton

Les personnages de Katharina Hacker sont des êtres foncièrement proches de nous. Est-ce leurs illusions, leurs faiblesses ou leurs manques ? Profondément ancrés dans notre époque (celle de l’après 11-Septembre), dont ils subissent le rythme, l’angoisse et la loi fondamentale de fragilité, ils endossent l’éclatante vérité de leur désarroi et de leur condition d’êtres « démunis », selon le titre du roman qui lui a valu en 2006 le Deutscher Buchpreis (2008, Christian Bourgois). Dans ce nouveau roman, nous retrouvons une fois encore chez l’écrivaine née en 1967, la vision d’un monde brutal et peu amène, peuplé de victimes ordinaires en puissance, aux prises avec les menaces diffuses – fantasmées ou réelles – de l’existence, qu’il s’agisse de la violence sociale, de la violence amoureuse ou de la vulnérabilité face à la maladie et la mort.
Bouleversé par le désastre annoncé que constitue pour lui l’évidence de la maladie dans laquelle s’enfonce sa mère (une lente dégradation qui revêt les symptômes de la maladie d’Alzheimer), Anton se retrouve placé à 43 ans comme devant un miroir. Ce médecin qui vit à Berlin entouré de ses amis, tente d’y voir un peu mieux dans la relation amoureuse qu’il a nouée avec Lydia, médecin comme lui, dont la personnalité reste hantée par la liaison compliquée qu’elle a eue avec Rüdiger, un ancien légionnaire qui se trouve être aussi le père de sa fille de 3 ans et qui, accompagné d’un ami à lui, Martin, l’espionne et la suit. Dès le seuil du roman, ce sont ces deux menaces, chacune ayant trait au passé – les souvenirs encombrants de sa compagne et ceux, engloutis dans le néant, qui dépossèdent peu à peu sa mère, abîmant même la mémoire de ses gestes, comme ce rituel des fraises que pour la première fois de sa vie, elle a omis de planter – qui exercent une pression insidieuse sur le bonheur d’Anton. « Désormais dans sa vie plus rien ne serait intact » résume pour lui l’auteur, et c’est cette perte inéluctable des contours – des choses, des êtres autant que des souvenirs – qu’évoque le récit douloureusement mélancolique de Katharina Hacker. Ainsi avec l’oubli du rituel des fraises, et qui à lui seul était le dépositaire d’un temps heureux et continu, la rupture avec l’illusion d’un monde stable et cohérent se trouve consommée. À l’image du théâtre mental de sa mère dont le décrochage d’avec la réalité ambiante, la confusion, l’égarement sont décrits en termes d’abîme et de friabilité – « Ses pensées ne dérapaient pas, elle ne butait pas, c’était plutôt comme si elle touchait quelque chose qui cédait à son contact et se désagrégeait. C’était un contact désagréable comme quand on touche un endroit blet sur une pomme qu’on avait crue intacte. C’était le moment juste avant que les endroits mous foncent et pourrissent. » – la narration fait apparaître ces passages à vide, en mêlant et alternant les points de vue des divers protagonistes. Dans ce ballet de solitudes qui se font écho, l’apparition de symptômes inquiétants (hyperacousie, acouphènes) finit d’accroître la distance qui les sépare les uns des autres. Suspendus au vide, déjà happés par lui, que reste-t-il d’eux au final, sinon ce noyau d’obscurité que chacun porte en lui, inaccessible aux autres, et souvent aussi à eux-mêmes ?
Moins poétique et plus sec que le précédent, et malgré des facilités voire des négligences de style, le roman de Katharina Hacker parle pourtant avec justesse et sensibilité, de la vieillesse, de l’angoisse, de la honte et de l’inconsolable sentiment d’abandonner à leur monde retranché, ceux qui nous ont élevés et essuyé les larmes des yeux. De la compassion aussi, à moins que ce soit quelque chose comme l’amour de la vie, quand elle s’accroche, s’obstine, et tient à l’écart ce qui cherche à la condamner, la souiller – à l’instar de ces limaces sur les fraises, cruelles et impitoyables « messagères d’un monde pourri »

Sophie Deltin

Les Fraises de la mère d’Anton
de Katharina Hacker
Traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger
Christian Bourgois, 167 pages, 15

Trous d’existence Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°127 , octobre 2011.
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