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juin 2012 | Le Matricule des Anges n°134 | par Valérie Nigdélian

Avec Bas monde, deuxième roman radical de Patrick Varetz, la langue s’érige en instrument de survie.

Il cogne, le père ; il cogne dur. De ses mains trop petites, la bouche résumée à une fente hurlante, il cogne. Entre l’usine le jour, et les entraîneuses du bar Royal la nuit, il cogne. Contre la femme qui, chienne !, s’arrondit dans une rancœur silencieuse. Contre le « polichinelle » qui, bientôt, défera la symétrie familière du couple en imposant une perturbante triangulation. Impuissant, il cogne.
Rien que de très banal en somme, la violence crasse de la cellule familiale – on pense aux parents sordides de L’Île Atlantique de Tony Duvert – une plongée dans la misère (de classe, de cœur, de corps et d’esprit). Mais la littérature est plus grande que l’anecdote quand, droite comme un I, elle refuse de céder à la tentation du réalisme et s’avance loin des ornières boueuses du pathos. Force de l’épure dessinée d’un trait ferme par Patrick Varetz : Bas monde est son deuxième roman, qui prolonge par d’autres voies la logique concentrationnaire explorée dans Jusqu’au bonheur, publié par P.O.L, déjà, en 2010. La prolonge tout en la resserrant jusqu’à son point d’étranglement, dans un huis clos cauchemardesque entre le père, la mère et l’enfant. La Sainte-Famille en somme, dont l’auteur prend un malin plaisir à destituer le mythe fondateur « vulgarisé (…) par les ondes » : l’amour partagé, et le bonheur de la procréation.
Dès le début, le ton est donné – et jamais ne baissera d’intensité : la mère à terre, traînée par le père « dans les trente mètres carrés de notre deux-pièces » dans une confusion de coups et d’injures (« Peau, pochetée, putain ! »), et, sous la peau, flottant dans un liquide soudain glacé, le corps du bébé. Après la délivrance haletante, autour de la boîte à chaussures garnie de coton qui fait office de berceau, les têtes se pencheront sur le corps frêle et nu de l’enfant, constatant sa laideur, étonnés de sa résistance, et les bouches adultes, incapables de prodiguer le moindre réconfort, cracheront leurs fumées pestilentielles à son visage, « se vid(a)nt les poumons et m’asphyxi(a)nt ». Mais, « Diable que c’est bon ! (…) C’est bien meilleur que le lait maternel, plus réconfortant que les rares baisers dont on m’a parsemé le front ». Nourri de la fumée envahissante des Gauloises, des vapeurs d’alcool et de café, des soupirs éberlués, le nourrisson s’étonne d’être même encore là : « Qu’est-ce qui les empêche de refermer ma boîte et de m’oublier ? ». Scènes incroyables où le lecteur s’engouffre, partagé entre rire jaune et effroi, aspiré par l’ironie que renforce le dispositif mis en place par l’auteur : car qui parle dans Bas monde ?

C’est bien l’enfant. C’est par lui, institué narrateur, que s’énonce l’horreur de la situation. Par lui que, du cocon dérisoire que constitue pour peu de temps encore, à l’heure où commence le roman, le ventre maternel rossé de coups, la violence acquiert immédiatement la couleur d’un destin. Par lui que se déploie la langue puissante et subtile qui, sans relâche, s’érige en rempart contre la catastrophe inéluctable qu’on lui sert sur un plateau. Cette langue, bien sûr, n’a rien d’enfantin : au contraire, elle est toute d’os et de maîtrise, contrepoint absolu, et quelque peu beckettien, de la passivité obligée du corps d’où elle s’énonce. On y cherchera en vain l’épanchement, le regret, la condamnation : elle ne cesse de marteler la distance vitale – « C’est le verbe qui m’exclut du monde et me différencie de mon père », ce père à la bouche
sans lèvres, à la bouche sans mots, « pour son malheur » – ainsi condamné au chaos, à l’inconscience et à la violence.
Dans cet univers de mouvements et d’odeurs (sueur acide, bière, urine et sulfure d’hydrogène que les parfums bon marché des filles du bar ne recouvrent qu’imparfaitement), dans les effluves hypnotiques du tabac, le monde extérieur perd peu à peu de sa réalité, se dissout dans un brouillard épais : s’éloigne à jamais ? Il faut dire alors la force de l’écriture, sa capacité à exclure le dehors pour ne laisser palpiter que le lien de chair qui, malgré tout et jusque dans l’horreur, rattache l’enfant à ses parents : dimension fusionnelle de la relation dont Varetz impose la troublante complexité, dans les tremblements partagés de la mère et de son enfant, dans le trouble face-à-face du père et du bébé, regards plantés dans une mutuelle incompréhension, dans l’amour qui se dit par les mains écrasées sur le ventre de la proie sans défense, dans l’effroi précipité en la vision intolérable d’un avorton déjà desséché dans le giron de l’enfant. Le deux- pièces se transforme alors en scène tragique à laquelle la fatalité – cette fascination « au fantasme de son propre malheur » – imprime une dimension mythique. Autour des corps déjà vaincus de ces parents terribles, deux Parques décident du droit de vie et de mort : la silhouette épaisse du docteur Caudron – moderne Charon prompt à vous « faire passer » – et celle, toute en seins mais d’une froideur mortelle, de la grand-mère paternelle. Terrifiants.


Valérie Nigdélian-Fabre

Bas monde
Patrick Varetz
P.O.L, 192 pages, 14

Verbe haut Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°134 , juin 2012.