On peut, face à certains textes, hésiter entre deux approches : soit nous renonçons à toute précaution et nous plongeons dans une lecture comme abandonnée, à nos risques et périls, soit nous préférons nous prémunir et nous informer, avant une lecture pour ainsi dire préservée. L’édition qui nous est offerte ici, d’un sérieux scrupuleux, nous offre ce choix. Otto B. Kraus raconte, durant deux cents pages, les trois derniers mois du block des enfants de Birkenau, où il fut une sorte d’éducateur avant d’échapper à l’extermination programmée – puis Catherine Coquio, en une centaine de pages denses et pourtant d’une grande clarté, retrace le contexte historique plus vaste que le lecteur doit avoir en tête pour donner au récit qui précède sa pleine signification. Cet accompagnement, cet éclairage est d’autant plus nécessaire que ce récit n’est pas un simple témoignage mais une « fiction autobiographique », un « roman-document » – forme ambiguë s’il en est. Le narrateur, en effet, n’emploie le « je » que dans un premier chapitre d’ouverture où il se présente comme un rescapé, installé en Israël, qui parvient à récupérer le journal d’Alex Ehren, chargé par ses camarades de « prendre en notes les témoignages », mais qui mourut, lui, « tué lors d’une marche de la mort ». Les chapitres suivants sont alors un récit à la troisième personne, inspiré par ce journal, dans lequel le narrateur n’a plus qu’une présence discrète qui prend la forme d’un « nous » indéfini.
Ainsi que le rappelle Catherine Coquio, les témoignages comme les études sur ce block des enfants demeurent en nombre assez limité. L’œuvre capitale de Raul Hilberg (La Destruction des Juifs d’Europe) « n’en dit à peu près rien » – et, parmi les témoignages sur la Shoah qui ont conquis une large audience, seul le Refus de témoigner (Viviane Hamy, 2005) de Ruth Klüger en relate l’expérience. Catherine Coquio retrace donc les décisions successives des nazis qui décidèrent d’abord de faire du camp de Theresienstadt, non loin de Prague, une sorte de vitrine, un camp Potemkine : la Croix-Rouge, en effet, s’inquiétant (modérément) des rumeurs concernant les camps, désirait visiter l’un d’eux. Il fut donc décidé d’accueillir ses représentants dans cette ancienne ville de garnison, après avoir remis à neuf les bâtiments et éliminé les prisonniers les moins présentables. C’était là, pouvait déclarer fièrement le pouvoir nazi, une « ville offerte aux Juifs » – ainsi que l’annonçait le titre d’un film de propagande (souvenons- nous : c’est sur des photogrammes de ce film qu’Austerlitz, le personnage de Sebald, tente de reconnaître les traits de sa mère assassinée…). Au cas où leur curiosité ne serait pas satisfaite, si ces inspecteurs aisément trompés exigeaient de savoir où étaient conduits ceux que l’on transportait « vers l’est », on pourrait aussi leur faire visiter, à Birkenau même, là où avaient été envoyés les indésirables de Theresienstadt, un « camp des familles » et, à l’intérieur de...
Événement & Grand Fonds L’île maudite
mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143
| par
Thierry Cecille
Entre le témoignage et la fiction, Otto B. Kraus nous guide vers l’inconcevable, et qui pourtant eut lieu : le block des enfants d’Auschwitz-Birkenau.
Un livre