Dans les premières pages, parmi tous les clichés rares ou inédits (Kevin Cann ayant eu accès à des archives très privées), c’en est un sur lequel il est permis de méditer : Haywood Stenton Jones et Margaret Mary Burns, têtes impayables, aux limites du cartoon. Soient les géniteurs de David Jones dit plus tard Bowie : on se figure mieux, du coup, la nécessité des platform boots et l’appel du grand large culturel. Any day now a comme première vertu de pointer d’où vient la bête : les banlieues londoniennes ni riches ni pauvres, à l’heure de l’après-guerre où la métropole se reconstruit et se rationne encore. David naît en janvier 47 ; il quitte la Grande-Bretagne en mars 1974, et voilà entre ces deux dates vingt-six années relatées par le menu des grands et petits événements. Par exemple, on apprend que le 9 mai 69 « David auditionne pour l’agent de casting Allan Foenander dans ses bureaux du 61 Kinnerton Street, pour une publicité pour les barres chocolatées Kit Kat » ; mais ne riez pas, ce même David enregistre le 6 octobre 72 The Jean Genie – il y a peu, Genet lui a donné rendez-vous dans un resto de Londres.
Il entre donc de l’industrie et de l’art, du matériel promotionnel et de l’expérimentation, de sorte que la question : vampire ou génie ? ne saurait être réglée entre ces pages, sauf à se prononcer prudemment pour le vampire de génie, comme le faisait déjà un critique à l’heure miraculeuse de l’album Hunky Dory (72) : « David Bowie est Greta Garbo et Bob Dylan ; il est Andy Warhol et Winston Churchill. Il crée sa propre légende à partir d’autres légendes. Son personnage repose sur sa compréhension des phénomènes contemporains. » Une compréhension que le livre sait exposer par la juxtaposition de l’homme et de ses inspirations (films de Kubrick, stylistes japonais, fatras bouddhistes, etc.), lesquelles varient aussi vite que ses coupes – il faut rappeler que Bowie obtint sa première interview télévisée en créant la Société pour la prévention de la cruauté envers les hommes aux cheveux longs. Nul ne pourra nier un singulier mélange d’ambition et de sagesse : le jeune chanteur en attente de succès abandonne des groupes trop petits pour son appétit, mais fait aussi de nombreux pas de côté, s’éloignant par exemple des studios pour les scènes de cabaret ou de mime. « Tout ça s’est mélangé en un ragoût constitué de l’ensemble des éléments que je pourrais utiliser quand mon tour viendrait. D’une certaine façon, si quelque chose s’était passé pour moi au milieu des années 60, j’aurais probablement été privé d’énormément d’influences. » Cela finit donc par se passer dans les années 70, puis s’exacerber, poses plus lascives, visages durcis, rolls rose. Ou est-ce simplement la fin de la jeunesse ? Kevin Cann ne commente pas, se limitant à raison au procès-verbal de cette jeunesse plus affolante qu’un roman.
Gilles Magniont
Any day now. David Bowie.
Les années Londres : 1947-1974
de Kevin Cann
Traduit de l’anglais par Mickey Gaboriaud
Naïve, 366 pages, 39 €
Textes & images Les éphémérides du jeune David
mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143
| par
Gilles Magniont
Sans rien oublier ni rien conclure, Any day now relate les constantes mutations d’un Bowie (encore) en son Royaume-Uni.
Un livre
Les éphémérides du jeune David
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°143
, mai 2013.