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Les mains dans la lutte H****

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Charles Robinson

Son plus beau souvenir est un stage d’artificier niveau 1 (celui avec les bombes dont l’angle d’ouverture est inférieur à 30°), effectué quatre ans plus tôt. Il doit encore réaliser deux tirs pour des spectacles pyrotechniques classés K4. Alors, il pourra demander en formation professionnelle le stage niveau 2 : autres feux d’artifice de divertissement.
Il dit : « C’est un travail. Les gens comprennent pas ça. Ils voudraient que je sois là tout le temps. Pas de vacances. Les horaires on s’en fout. Pu - tain. C’est - un - tra - vail ! »
En vrai, il est timide.
Au demeurant, même si ce n’est pas la première idée qui vient à l’esprit à son sujet, il se révèle très efficace lors des conflits. Il se glisse entre les gens, les tensions.
Il dit : « Non, mais t’as raison. Mais bon. Ça peut s’arranger, non ? Enfin… »
Il a l’air tellement mal à l’aise qu’il vide le conflit de ses enjeux, comme s’il tirait sur la bonde au fond du lavabo. Les passions tristes. Rivalités, ego, affect.
Il ne rend pas les choses plus simples, il les rend plus anodines.
Il dit : « Oh la la… »
Et il a l’air tellement embêté pour tout le monde, d’un coup.
Pour lui le monde est une grande fuite. Un barrage ? Il y a cette masse d’eau puissante, d’eau noire, surchargée de disputes au foyer, de factures à payer, de loyers en retard, d’affections longue durée, de gosses qui butent sur les leçons, de rixes entre gamins bloc par bloc, de trafics qui dégénèrent, et devant tout ça, le mur de ciment gris dressé par la Société™. Il n’a pas d’avis sur la construction – OK, il trouve ça un peu tristounet et ça manque de musique –, il ne se sent pas de taille à expertiser. Il est modeste.
Ensuite il y a ces plocs gluants qui lui frappent les joues. Et en guise de barrage, il voit que le ciment n’a jamais été d’assez bonne qualité et que c’est en train de craquer, qu’il y a des fissures où il pourrait enfoncer la main. Qu’il est juste en dessous, avec sa bonne volonté pour colmater, et la brochure d’activités du Centre Social, genre karaté adulte le jeudi à 18 heures et danse classique le mardi, perfectionnement.
Il a emmené au zoo voir les pumas et les zèbres la plupart des caïds du secteur quand ils avaient 8-10 ans. Il a vu les sourires s’effacer peu à peu des visages et les corps devenir raides et épaissir. Il les appelle encore par leur prénom, mais désormais presque en s’excusant, alors que ce sont de jeunes adultes pour qui le mur de ciment contient des jugements en attente et une cellule de 9 m2. S’il s’y prend mal, ils péteront un câble et lui éclateront la tête à cinq ou six, avant de s’excuser trois semaines plus tard.
Il dit : « Je peux pas les juger… c’est presque ma famille… en plus leur frère est hyper sympa… je suis pas objectif… »
Il dit : « Franchement, ils auraient pas grandi, ç’aurait été super pour eux. En centre aéré on s’est vraiment marré. »
Quand ça commence à dégénérer dans l’espace jeune autogéré, ses collègues viennent le chercher. À 29 ans, il est le plus proche en âge.
Alors il prend sa respiration, et il fonce.
Il dit : « Oh ! Ben alors, qu’est-ce qui se passe ? »
En général, des choses très graves. Genre B. a profité que J. téléphonait pour lui piquer sa place au billard. Dans trois jours ça se termine avec un tournevis planté dans un poumon.
Parallèlement, il passe de plus en plus de temps dans l’administratif. Monter des dossiers pour chaque projet. Faire valider. Trouver de l’argent. Obtenir l’autorisation (genre désormais tout passe par le bureau du maire). Vérifier les conditions de sécurité. Contacter les assurances. Appeler les parents pour qu’ils signent les attestations (genre bonjour je vous ai appelé la semaine dernière). Dresser un bilan chiffré de chaque action.
Et surtout être à l’écoute de ces jeunes tellement inventifs. Comprendre leurs désirs. Les aider à monter leurs projets (genre je coache les groupes et je transmets mon savoir-faire). Faciliter la relation avec des partenaires. Développer leur autonomie.
Il dit : « Par contre, alors, si je veux payer une bière… pu – tain… il faut que je le fasse en ca – chette… sinon je me fais tuer par l’élu politique de la jeunesse & interculturalité & loisirs… et je te parle même pas du directeur… lui, il me refuse mon stage jusqu’à la fin de mes jours. Même pas la peine de parler. »

Charles Robinson

H**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
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