La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français La vie, l’envie, le vice

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Richard Blin

Qu’il s’agisse de la complicité sensuelle et esthétique qui le lia à Eugène Savitzkaya, ou de l’érotisme latent des cires anatomiques, c’est à cœur et à corps ouverts qu’écrivait Hervé Guibert.

Seule correspondance dont il ait autorisé l’édition, les Lettres à Eugène Savitzkaya mettent fin à la publication des œuvres inédites posthumes d’Hervé Guibert. Un point final qui, tout en fermant la boucle, renvoie à leur entrée respective en littérature. Nous sommes en 1977, Mentir, le premier roman de Savitzkaya vient de sortir. Guibert le lit, l’aime et l’écrit à l’auteur tout en lui envoyant son propre premier livre, La Mort propagande. Ainsi débute une correspondance qui va durer dix ans (1977-1987), entre deux jeunes auteurs, tous deux nés en 1955, et appartenant à cette mouvance de la littérature française qui a fait de la fictionnalisation de soi – et de récits dans lesquels réalité factuelle et réalité fictive se contaminent l’une l’autre – une marque de fabrique et un univers.
Une correspondance étrange tant le décalage est grand entre le ton de l’un et celui de l’autre. Chez Guibert chaque lettre relève d’un état émotionnel, d’un élan enthousiaste. Il rêve d’une fraternité d’écriture, d’échanges phosphorescents parce qu’il a d’emblée saisi la sensualité de l’écriture savitzkayenne. Eugène devient alors un objet de désir tant littéraire que sexuel. Guibert voudrait qu’il vienne le voir à Paris (Savitzkaya vit à Liège), et se fait très explicite : « … que tu habites chez moi, que tu dormes dans mon lit, que tu te laves avec mon savon, que tu t’asseyes sur mon siège ». Il lui avoue qu’il l’adore, que c’est complètement déraisonnable, ce à quoi Savitzkaya répond par le silence ou des lettres laconiques, minimales, parfaitement neutres, se résumant souvent à quelques remerciements polis et distants. Guibert en souffre, le qualifie de « grand taiseux », reconnaît qu’« on est toujours idiot et inacceptable à vouloir jouer le rôle de l’amoureux », tente de se rebiffer : « Aimerais-tu que je t’écrive une lettre d’injures pour te blâmer de ne répondre à aucune de mes lettres ». En vain. Pour toute justification Savitzkaya lui dit que « deux geôliers » veillent sur lui, un homme et une jeune fille, « tous deux convaincus de leurs prérogatives. Je suis un animal en cage, habitué à manger dans mon écuelle. Mais je rêve beaucoup. » Une passion platonique – exceptée une nuit passée ensemble sur l’île d’Elbe – qui fera progressivement place à une amitié sincère et loyale, les verra collaborer à L’Autre Journal et partager le même désir d’aller pisser sur la tombe de Marguerite Duras ou se préparer à séjourner à la Villa Médicis – « J’ai envie de vivre sur un large pied et dans un somptueux décor » écrit Savitzkaya, avant d’ajouter : « Cette motivation est-elle suffisante ? » – dont ils seront effectivement pensionnaires de 1987 à 1989.
Parallèlement à la Correspondance, Hervé Guibert écrivit aussi une série de textes qu’il regroupa sous le titre de Vice, qui ne parut qu’en 1991, quelques mois avant sa mort. Le livre reparaît aujourd’hui, et nous montre un Guibert très différent de l’ardent voluptueux s’adressant à son frère d’écriture. Précédant, et suivant un cahier central composé de photographies prises par l’auteur au musée Grévin, à Florence, au musée de l’Homme ou de l’École vétérinaire, deux ensembles se font face. Le premier, Articles personnels, regroupe des descriptions d’objets (peigne, pince à ongles, abaisse-langue, gants, papier tue-mouches, machine à faire le vide…) ; le second, intitulé Parcours, nous entraîne dans un hammam, un palais des monstres désirables, le musée de l’École de médecine, un cimetière d’enfants, le cabinet d’un taxidermiste… Une double leçon de choses (vues) qu’on peut lire comme autant de Vanités ou comme le résultat d’un geste transgressif d’ouverture, de « la mallette du voyageur Bougainville » (sous-titre d’Articles personnels), ou de celle des corps avant qu’ils ne s’offrent sous forme d’écorchés ou de cires anatomiques.
Une façon de prendre possession du corps, qui passe par l’impérieux désir de voir et de savoir, domaine où la notion de plaisir se mêle à l’inavouable et où l’esthétique des organes dévoilés le dispute aux abîmes de la vie organique. Un monde où la frontière entre la vie et la mort se trouve souvent réduite à l’épaisseur d’une vitre. Comme si c’était le secret du mouvement qui va d’Éros en Thanatos que cherchait Guibert parmi ces corps morcelés, ces anatomies dépliées, cette floraison de manifestations morbides. Une expérience des limites qu’il évoque sur un ton glacé, à l’aide de descriptions impersonnelles et au fil d’un regard voulu neutre et dénué d’affect même si une certaine fascination se laisse deviner. Vice – entre Vie et Vue – serait alors à lire comme une façon – prémonitoire ? – d’attirer l’attention sur les différentes formes du mal qui menace l’être. Une sorte de tableau de la condition humaine en tant que sujette au malheur, à la maladie, aux vices.

Richard Blin

Lettres à Eugène
Hervé Guibert et Eugène Savitzkaya
et Vice d’Hervé Guilbert
Gallimard et L’Arbalète, 144 et 136 pages, 15,90 et 16,90

La vie, l’envie, le vice Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
LMDA papier n°143
6,50 
LMDA PDF n°143
4,00