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Domaine étranger Un truc qui marche

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Jean Laurenti

Tanguy Viel imagine avec malice un écrivain qui, pour rencontrer le succès, suivrait les recettes d’écriture trouvées chez les romanciers américains les plus appréciés. Non sans réussite…

La Disparition de Jim Sullivan

Les livres qui bousculent les formes littéraires instituées, qui mélangent les fonctions des instances narratives – auteur, narrateur, personnages –, interpellent le lecteur, lui soumettent certaines options prises dans l’art de raconter, le prennent à témoin, lui demandent son avis sur la progression du récit, cela n’est pas nouveau. Il arrive que des auteurs, à des périodes propices ou non, se plaisent à chambouler jusqu’au déraisonnable les règles de l’art de raconter, transgressent l’implicite contrat de lecture censé ordonner l’étrange activité qui consiste à rendre possible la croyance à une histoire dont on sait de part et d’autre qu’elle est – plus ou moins – pure invention. La traversée réitérée du miroir devient alors un jeu aussi passionnant à suivre que les péripéties des personnages qui deviennent un peu les habitants d’un laboratoire où se déploie l’ironie ludique et démiurgique de l’écrivain.
Sous la bannière étoilée des Éditions de Minuit (qui ont vu passer bien des expérimentateurs et des inventeurs de formes romanesques), Tanguy Viel – ou plutôt un narrateur écrivain qui pourrait être Tanguy Viel – prend la décision d’écrire un roman américain, quelque chose qui s’apparenterait à ces « romans internationaux (…) qu’on trouve traduits dans toutes les langues du monde et qui se vendent dans beaucoup de librairies ». Donc voici une histoire et en plus de celle-ci, une sorte de making of de son écriture, un commentaire censé informer le lecteur sur les raisons, les motivations, les impératifs qui ont poussé l’auteur à écrire ce roman et à s’y employer de cette façon. Tout cela nécessite évidemment un haut degré de connivence entre auteur et lecteur (sans connivence point d’ironie, donc point de roman moderne), mais le simple fait d’avoir en main un tel roman présuppose de telles affinités : on doit savoir que Tanguy Viel se passionne pour le jeu avec les codes des genres littéraires – et cinématographiques – à partir desquels s’invente sa liberté d’écrivain.
La Disparition de Jim Sullivan est donc l’histoire d’un roman qui se déroule sous les yeux du lecteur avec la voix de son auteur qui souligne telle ou telle de ses composantes narratives. La biographie du personnage principal, Dwayne Koster, est un enfilage revendiqué de perles piquées dans la boîte à bijoux des auteurs à succès d’outre-Atlantique : « (…) j’ai remarqué cela dans les romans américains, que le personnage principal, en général, est divorcé. (…) on le découvre en général autour des cinquante ans, après que sa vie sentimentale s’est un peu compliquée. » Donc « il n’était pas question de déroger aux grands principes qui ont fait leurs preuves dans le roman américain. » Le récit progresse ainsi, mu par une dynamique propre, née de la soumission revendiquée à un cahier des charges censé garantir son succès et que le narrateur romancier consigne dans des « fiches » qu’il établit pour apprendre à connaître ses personnages stéréotypés : « Je n’ai pas écrit tout ça dans mon roman. C’est seulement que j’ai dressé des portraits de mes personnages pour mieux les comprendre, y compris les personnages les plus secondaires. » Dwayne Koster ne peut être qu’un universitaire quinquagénaire, tranquillement établi dans l’agonisante ville de Detroit, dont les ancêtres européens sont convoqués dans un passage biographique autonome retraçant son lignage et aboutissant à un épisode traumatique et évidemment fondateur de l’enfance de ce protagoniste. Plus tard, sa vie d’adulte devra basculer à cause d’un adultère commis avec une étudiante brillante et dotée de charmes irrésistibles (voir la matrice Lolita)  ; son épouse devra apprendre la forfaiture par un collègue de Dwayne bien plus retors que ne pourra jamais l’être ce dernier et qui pour cela paiera cash son ignominie dans une scène à la fois elliptique et d’une sauvagerie aussi terrible que convenue. Homme banal que son péché ordinaire va entraîner là où il n’aurait jamais imaginé se perdre, Dwayne Koster est assujetti à l’implacable loi du McGuffin – autrefois énoncée par Hitchcock –, objet ou acte dérisoire dont découle toute une praxis narrative : une petite fantaisie extra-conjugale de rien du tout et un monde minutieusement construit s’écroule, selon un processus dramatique où rien ne doit manquer.
Il importe cependant que le voyage fatal ne s’accomplisse pas dans une absolue solitude. Que par exemple, l’habitacle de la voiture dans laquelle Dwayne traverse son ultime « nuit américaine », l’autoradio fasse entendre la voix d’un dénommé Jim Sullivan, dont la musique et le destin sont taillés sur mesure pour accompagner l’expédition sans retour sur un freeway dont l’ultime sortie sera un désert où il est attendu de pied ferme.
Prenant congé de ce héros malmené, le lecteur doit constater que la succession des artefacts romanesques et leur soulignement comme procédés utilitaires n’altère en rien l’inaltérable et enfantin plaisir qu’il éprouve à se sentir suspendu au fil des histoires qu’on lui raconte.

Jean Laurenti

La Disparition de Jim Sullivan
De Tanguy Viel
Éditions de Minuit, 153 pages, 14

Un truc qui marche Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
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