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Domaine étranger Plateau onirique

mai 2013 | Le Matricule des Anges n°143 | par Thierry Guinhut

Avec une poésie sensible, la romancière japonaise Yoko Ogawa fait du jeu d’échec le miroir des vies.

Le Petit Joueur d’échecs

Les échecs fascinent les écrivains. Pensons à Stefan Zweig qui mit en relation ce prestigieux duel intellectuel avec les contraintes du totalitarisme nazi. Pareillement, il serait vain de réduire le nouveau roman de la prolifique Yoko Ogawa à une énième variation sur un jeu de société : une autre dimension le transcende, celle de la transmission et du legs…
Bien que scrupuleusement attachée à un contexte réaliste, Yoko Ogawa en fait rapidement surgir l’étrangeté. Com- me dans Amours en marge, où une enfant s’attachait à un hippopotame, c’est ici au tour d’un gamin de 7 ans de rêver à l’éléphante Indira qui vécut et mourut sur la terrasse d’un grand magasin, là où ses grands-parents l’abandonnent pour faire leurs courses. C’est son amie imaginaire, comme la « Miira » qu’il s’invente ensuite. Ce garçon singulier, découvrant un noyé dans la piscine de l’école, mène l’enquête et rencontre un obèse qui, dans l’autobus où il vit avec son chat Pion, sera son initiateur aux échecs. Mais au-delà du combat au-dessus de l’échiquier, c’est la qualité musicale, comme celle des mathématiques et de la poésie, de la belle partie, qui prime, « miroir » du joueur. Le défi est autant stratégie qu’esthétique. Jusqu’à ce que l’homme meure, que le garçon choqué ne puisse jouer que sous la table où il caressait le félin, qu’il devienne « Little Alekhine », petit surdoué, professionnel des échecs qui ne grandit plus, enfermé dans la poupée mécanique qui manie reine, tour et fou avec brio.
Cette relation maître et disciple était également au cœur de La Formule préférée du professeur, lui mathématicien. Outre sa table et son sac de pièces, la philosophie de l’obèse, emporté par une grue après sa désincarcération de l’autobus, revit : l’on ressent « un bonheur suprême à partager cette lumière avec quelqu’un d’autre ».
Le récit initiatique gagne en intensité, lors du déplacement des pièces personnifiées qui est « mélodie », quand le corps contorsionné disparaît sous l’automate, quand Miira et sa colombe deviennent pion. Le jeu subtil des images – lorsque la piscine devient échiquier humain, lorsque les « transcriptions » des parties sont des œuvres d’art – tisse un lyrisme envoûtant : « Avec des pièces de bois, il peut tracer de beaux dessins comme ceux d’une toile d’araignée après la pluie. » Hélas, la « perversité est en train de croître au sein du club du Fond des mers ».
Ogawa excelle en s’attachant à la magie de l’enfance et en balisant les territoires imprécis du fantastique. Il faut la lire comme on joue à la marelle, chercher et choyer les joyaux, comme sa description de l’autobus meublé de « pin noir islandais » et d’« azulejos  », du caddie du senior rempli de souvenirs. Il faut décrypter ses personnages de solitaires, en leur enfermement, leur intériorité, qui s’ouvrent pour l’amour discret. Qui collectionnent les objets ou les parties d’échecs, comme elle les collectionne pour nous, ce dont son roman emblématique, Le Musée du silence, fut l’apothéose…
Chez Ogawa (née en 1962), tout objet, y compris le plus banal, acquiert une qualité spéciale, tel le « chiffon  » de la grand-mère, « son talisman, son livre sacré », ou le bois poli des pièces du jeu, mais aussi l’immanence sereine des animaux. Ou encore le sensible duvet sur la lèvre du héros qui naquit la bouche scellée. Car les objets peuvent pallier l’impuissance des mots. L’attention scrupuleuse au monde et à ses détails, la musique secrète du conte souvent tragique, sont parmi les clés de la fragile puissance d’évocation, de l’empathie que la romancière sait dégager tout au long de son espace-temps romanesque. Ce qui permet au lecteur d’immédiatement s’attacher, s’identifier, entre effroi et tendresse, aux lisières de l’onirisme.

Thierry Guinhut

Le Petit joueur d’Échec
de Yoko Ogawa
Traduit du japonais par Martin Vergne,
Actes Sud, 336 pages, 22,80

Plateau onirique Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°143 , mai 2013.
LMDA papier n°143
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