La voix s’efface/ dans le bruit indécis et insistant / mots qu’il ne prononce pas - ». Ainsi sont les premiers mots de l’ultime texte d’Anne-Marie Albiach, disparue en novembre dernier. Celle qui, immédiatement reconnue par ses pairs à la fin des années 70, livre dans Celui des « lames » une poésie énigmatique et âpre, nous prouve encore une fois combien il est possible de travailler à l’exigence formelle et au contrôle des excroissances lyriques sans que le poème ne confine au formalisme. Il y a que c’est « dans la langue (qu’) elle retrouve la sève première ». Mais ne nous y trompons pas car cette sève est moins substance qu’origine et condition de possibilité d’un dire prenant sa source dans « les géométries pulsionnelles » du corps érotique, douloureux ou encore « mémoire mise à nue » (qui) se redit - / « usage des extrêmes ».
En 2006, Albiach confiait à Jean Daive : « Si je n’avais pas une base géométrique, mathématique, le lyrisme prendrait tout le dessus, et je ne veux pas. Je m’en méfie terriblement » (Anne-Marie Albiach, l’exact réel). La seule urgence semble être alors de s’en tenir au difficile, à l’économe, au méthodique – jusque dans la typographie (blancs, tirets, italique, guillemets) qui rappelle à chaque instant l’omniprésence des choix. Posture qui ne va pas sans quelque radicalité. Refus de la séduction, tout d’abord, refus du récit dont elle souhaite qu’il demeure invisible, refus des images, enfin, dont l’exubérance toxique nuit à la possibilité d’une figuration immédiate. « L’élan vital pour résoudre l’énigme » dit-elle. Car « derrière la syntaxe s’accomplit le geste premier - / l’adhésion aux arrière-plans- / la similitude du mot au verbe, à la chose -/ ».
C’est à une expérience forte et intime que nous invite ce livre posthume. Une poésie saillante, où « dans l’asymétrie des jointures le relief blesse - » un peu les chevilles malhabiles du lecteur ; lequel ne cesse de négocier entre l’instabilité du dire et sa puissante vivacité. Par tâtonnements, intuitions et repentirs, il est comme arraché à ses certitudes dont Celui des « lames » nous rappelle la touchante et dérisoire impuissance.
Christine Plantec
Celui des « Lames »
Anne-Marie Albiach
Éditions Éric Pesty, 18 pages, 9 €
Poésie Celui des « Lames »
juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145
| par
Christine Plantec
Un livre
Le Matricule des Anges n°145
, juillet 2013.