Pasolini, clair-obscur
- Présentation Une révolution mélancolique une révolution mélancolique
- Autre papier Un homme dans la ville
- Autre papier Arrêts sur images
- Entretien Mécanique du désir
- Autre papier « Nous sommes tous en danger »
- Autre papier Belle mort
- Autre papier Pour Pasolini pirate
- Autre papier Milano centrale
- Autre papier Constat de Pasolini sur les périls du temps
- Autre papier L’Italie en procès
- Bibliographie Bibliographie sélective
Je ne sais comment ni quand, / quelque chose d’humain est fini ! » Deux vers des Poèmes frioulans, l’entrée virgilienne de Pasolini en poésie ; une célébration posthume, limpide et naturelle de l’amour des garçons, assombrie par instants d’une sinistre prémonition, épithète qui enfanta le terme d’obscénité. La courbe de l’œuvre reflète les inflexions de sa vie : solitude, pauvreté, enrichissement culturel, déceptions politiques. Il ignore encore que plus que les mots l’image est impardonnable. Il le paiera de sa vie. En l’assassinant, en 1975, la Mafia enterra son ultime projet : dénoncer ses pratiques dans un film autofinancé (comme pour Francesco Rosi avant lui, ni institution ni personne ne veut prendre de risques). L’Italie est passée, pour une part, sous tutelle mafieuse.
L’ombre de Pasolini se projette, aujourd’hui plus que jamais accusatrice, sur la démocratie italienne, marécage de corruptions et de démissions. Son ami Ninetto Davoli rapporta cet aveu désespéré à Libération : « L’argent a tout corrompu ; je veux aller me cacher ». L’Église, qui a toujours deux fers au feu, s’était emparée de Théorème (Grand Prix de l’Office catholique). Manière de détourner, de « récupérer » la sublimation des interdits. Une décennie plus tard, le pape plus que jamais infaillible ? vouera les « sidéens » − ainsi disait l’autre − aux gémonies. Le « rossignol de l’Église catholique » n’appelle pas même à la compassion, un geste pourtant sans frais.
1968. À la veille des « années de plomb ». Une partie de l’intelligentsia, un peu partout en Europe, réservera l’humanisme (si l’on ose dire) compassionnel aux groupuscules de tueurs qui la fascinent. L’Italie s’abîme dans le chaos. L’essor économique et culturel s’éteint pour longtemps. Sauf quelques industries-clé noyautées par des intérêts obscurs. L’opération « Mains propres » lui eût-elle paru inespérée, comme aujourd’hui la lutte de la justice pour son indépendance ? Lui, qui dut subir procès après procès pour sa liberté d’expression, croirait-il à la victoire des juges et du droit face à la manipulation politique ? Rappelons que le socialiste Craxi, qui mit sur orbite Berlusconi, put s’enfuir la veille de son arrestation pour vols et malversations. Le même Berlusconi avait signé avec la mafia sicilienne un pacte de vingt ans… Dans l’apathie, la dissolution du civisme, l’Italie sombre dans la boue.
Aurait-il la tentation d’un remake de Salò ? Nettoyé du Grand Guignol qui faisait rire les figurants car les lois du film ne sont pas celles de l’écrit. L’empire obscène de Berlusconi, ses médias et leur pouvoir gangrènent un des pays les plus civilisés du monde. Comment ne pas désespérer des peuples ? Comment lutter contre ? Si les fascistes fantoches de Salò jouent faux, les mafias tuent. L’Italie compte, après la Colombie, le plus grand nombre de personnes protégées par la police. Roberto Saviano, auteur de Gomorra, menacé par la Camorra, est dans ce cas. La mort seule apaise le...