Même si elle s’inscrit en filigrane de toute son action comme de son œuvre, la dénonciation du sort fait aux Noirs n’est pas la motivation majeure d’Aimé Césaire. Avant tout, il s’est agi pour lui d’imposer une poésie nègre là où régnait depuis des siècles une poésie blanche. D’inventer une écriture nègre de la dénonciation du rationalisme et du colonialisme européens. De convertir en poésie ce qui n’est pas de l’ordre de la poésie. D’utiliser les armes de la poésie – Les Armes miraculeuses de la poésie, selon le titre d’un recueil publié en 1946 – pour établir de nouvelles relations, proposer de nouveaux rapports dans le monde. Cette foi en une poésie capable d’avoir une véritable action sur les choses, Daniel Maximin la partagea avec Césaire, son « frère volcan », né il y a cent ans, à Basse-Pointe, dans le nord de la Martinique, et décédé en avril 2008.
Né, lui, à la Guadeloupe, l’année de la parution du Cahier d’un retour au pays natal (1947), Daniel Maximin a découvert Césaire à travers ce livre. « Pour l’une des premières fois avec ton Cahier, j’ai entendu parler dans un livre d’autre chose que de l’ailleurs. J’ai trouvé dans ton premier poème les images qui parlaient de nous, de notre paysage et de notre pays. » Sur un ton fraternel, il évoque leurs enfances respectives, si semblables, puis raconte comment Césaire s’est ensuite incarné en une pièce de théâtre, La Tragédie du Roi Christophe, avant que ne se produise leur première rencontre, à Paris, en 1965, à la librairie Présence africaine, « la Sorbonne du monde noir ». Césaire a 52 ans, Maximin en a 18. S’ensuivront quarante années de « dialogue intime de tous les instants », ponctuées de rencontres rares mais d’une absolue richesse.
Une connivence au fil de laquelle on découvre un Césaire aussi lucide que déterminé – « Aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous » –, et bien décidé à redonner orgueil et énergie aux descendants des esclaves, à être « la chair du peuple », et à vivre les problèmes de son pays avec intensité. D’où, dans la droite ligne d’une poésie participant d’une pratique politique, son désir de réconcilier le rêve et la réalité, de faire la synthèse entre l’action poétique et l’action politique. Une volonté de bâtir qui le verra devenir député, puis maire de Fort-de-France avant de fonder son propre parti. Une exigence de liberté et de dignité qui ne faiblira jamais malgré les attaques des départementalistes comme des indépendantistes, malgré les haines, les trahisons, « malgré tant et tant de malgré », comme disait Léon-Gontran Damas, le Guyanais, un de ses frères d’élection avec L.S. Senghor, Asturias ou le peintre cubain Wifredo Lam. « Je suis du côté de l’espérance, mais d’une espérance conquise, lucide, hors de toute naïveté parce que je sais que là est le devoir ».
Être « la bouche des malheurs qui n’ont pas de bouche » ne pouvait suffire à Césaire. Sa poésie, il la voulait « péléenne », du nom du volcan dominant la Martinique. Une parole rare, s’accumulant longtemps avant d’exploser en prolifération d’images qui, plus que de donner une idée de la réalité, cherche à mettre au jour la structure poétique de cette réalité. De ce langage poétique neuf, issu du jeu fécond entre langue et poème, Césaire disait : « Mon effort a été d’infléchir le français, de le transformer pour exprimer, disons, ce moi, ce moi-nègre, ce moi-créole, ce moi-Martiniquais, ce moi-Antillais. » Une poésie qui conjugue refondation, célébration et rébellion en acte. À l’image de ce qu’écrivait Suzanne Césaire – celle avec qui il partagea « 25 ans de vitale inspiration et de commune respiration », et avec qui il fonda la revue Tropiques : « Allons, la vraie poésie est ailleurs. Loin des rimes, des complaintes, des alizés, de perroquets. (…) La poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas. »
Richard Blin
Aimé Césaire, frère volcan
de Daniel Maximin
Seuil, 276 pages, 18 €
À lire aussi, de Nimrod, Visite à Aimé Césaire, Obsidiane, 80 pages, 14 €
Poésie Fraternellement complice
novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148
| par
Richard Blin
L’hommage du « fils spirituel » de Césaire au père de la négritude et au poète volcanique.
Un livre
Fraternellement complice
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°148
, novembre 2013.