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Poésie Aiken, l’éclair bleu

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148 | par Éric Dussert

D’un voyage de l’esprit en terre civilisée, il dirige une symphonie de mots pour conter le destin d’Osiris, homme moderne.

La Venue au jour d’Osiris Jones

Tenu en estime majeure par ses contemporains Ezra Pound, T. S. Eliot et Malcolm Lowry, le poète et romancier Conrad Aiken (1889-1973) n’est toujours pas intégralement traduit en France. Cela suggère une assez vaste énigme qui ne se résout qu’une ou deux fois par siècle, à peu près, dans la parution d’un volume de traduction inédite. Tandis que l’œuvre complète de médiocres porte-plumes from USA encombrent les étals, il faut se rendre compte que ne préexistaient à la récente parution du poème La Venue au jour d’Osiris Jones, que les deux belles traductions de proses dont la particularité, soit dit en passant, était d’être le plus susceptible d’évoquer Malcolm Lowry. Tout s’explique : il fallait faire simple pour intéresser la critique littéraire et la librairie en rattachant Aiken a une marque indiscutable : Lowry ! CQFD. On trouva donc sur les étals Blue Voyage (1927), tortueusement présenté au lecteur français sous le titre d’Au-dessus de l’Abysse (Mercure de France, 1994), puisque tout le monde n’a pas les moyens de se trouver sous un volcan, puis Un cœur pour les dieux du Mexique (1939), traduit par Michel Lebrun (« La Petite vermillon », 2001).
Les éditions La Nerthe entreprennent de remettre les choses dans l’ordre : Conrad Aiken était avant tout poète dont les chefs-d’œuvre, Preludes for Memnon, Landscape west of Eden et cette Venue au jour d’Osiris Jones de 1931 attendent depuis trop longtemps. Réputé de lecture difficile, lauréat du Pultizer poésie en 1930, Conrad Aiken s’est inscrit sans barguigner dans la modernité et a usé de formes – ses préludes par exemple, comme son sens symphonique – et de thématiques qui restent d’une tenace présence. Avec cette parturition d’Osiris, priment comme une marque de fabrique d’Aiken « Le rien obsédant, chaque objet et chaque geste anodin », nous dit son traducteur qui s’intègrent au « ballet virtuose » autour de la venue d’un être déjà condamné, quand bien même il porterait un nom divin issu du Livre de la mort des anciens Égyptiens. Son existence, depuis le panorama cosmique jusqu’au constat médical (« Rapport d’un étudiant en médecine… ») que n’aurait pas renié Paul Nizan (Complainte du carabin…) entre en « Conversation ou chant, avec des notes espacées —/ si espacées que la terreur replie ses ailes (…) et c’est un chant d’oiseau, ce sont des branches d’arbres,/ le vil de la lumière entre les feuilles du palmier nain,/ la vague de vent à travers le champ de pâquerettes,/ la voix de l’eau fluctuant dans la nuit/ et la marchande ambulante, la vieille Noire, chantant/ “Ouais, crevettes, ouais, Gombos” dans le matin bleu clair. »
Listes, dialogues intérieurs et instantanés sont de la même manière l’apanage de l’Aiken romancier lorsqu’il fréquente les passagers du paquebot de Blue Voyage, courtisant Faubion, cette jeune femme incarnant l’inatteignable asile, nimbé de frustration, chahuté par le monde. À Osiris, le miroir donne des leçons de tranquillité par inconscience et laisser-aller : « hé bien, M. Jones, peut-être vaut-il mieux,/ comme moi, être un bon oublieur. » Mais Osiris est « un esprit/ dont les errances/ sont sans borne » et dont le cerveau ne peut cesser d’organiser ce qu’il voit, sent, touche, mémorise, analyse et en fait un long poème symphonique composé des morceaux de choix placé le long d’une existence au terme duquel, l’horloge, Parque triviale, n’énonce que « tac. »
Avec ses accents métaphysiques, ses images inattendues, ses correspondances étroitement filées et ses marches fermes, Conrad Aiken a beau avoir été marqué par la poésie de Baudelaire, il est indéniable qu’il compose un moment essentiel de la littérature du siècle dernier, au même titre qu’Eliot, que Pound et que Lowry dont il fut le tuteur légal lorsque ce dernier désira s’émanciper de sa vie familiale. Son Osiris, qu’il faut ranger tout à côté des tombes d’Edgar Lee Masters devient pour les lecteurs français une pièce indiscutable. Et s’il faut encore insister, rameutons William Faulkner qui vit dans son œuvre un « éclair bleu » dans le ciel gris de la poésie américaine, une ressource, une chance.
En Géorgie où il repose, Conrad Aiken a fait graver sur sa tombe quatre mots : « Cosmos Mariner/ Destination unknown ». Les interrogations de cet homme ont embrasé ses vers, ses pages durant une quête qui a produit plus d’excellents poèmes que l’on peut raisonnablement en exiger d’un poète. Sa destination n’est donc pas inconnue en territoire francophone : il lui faut parvenir à bon port, c’est-à-dire trouver enfin une voix pour ceux qui ne lisent pas l’anglais. En cela, La Venue au jour d’Osiris Jones, poème magnifique, est un excellent argument.

Éric Dussert

La Venue au jour d’Osiris Jones
de Conrad Aiken
Traduction et préface de Philippe Blanchon.
La Nerthe, 96 pages, 12

Aiken, l’éclair bleu Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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