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Traduction Danièle Faugeras*

novembre 2013 | Le Matricule des Anges n°148

Voix réunies d’Antonio Porchia (1885-1968)

Voix réunies

Ça pourrait commencer comme une histoire d’amour. Que c’est sûrement. Comme à chaque fois. (Il faut dire qu’étant directrice de deux collections aux éditions Érès, j’ai la chance d’avoir toujours pu choisir les œuvres que je voulais traduire et publier. Merci à mon éditrice pour sa confiance !)
Mais cette fois-là, plus que chaque fois.
La rencontre a été le fait d’un de ces hasards qui n’en sont guère, on le sait bien, mais qui pourtant nous surprennent toujours. Nous venions de mettre la dernière main, Jean-Restom Nasser, Tayebeh Hashemi et moi, à leur traduction d’une sélection de poèmes d’Abbas Kiarostami à paraître dans la collection PO&PSY (que je codirige avec Pascale Janot). J’ai donc un repère : 2009.
Dans la lumière douce d’une fin de journée d’été, là-haut, dans leur maison tranquille d’un hameau de Picardie, après la concentration du jour je laissais flotter mes yeux parmi les objets qui nous entouraient – des livres, bien sûr. Jean-Restom tira d’une pile un austère volume bleu :

 « Danièle, vous connaissez Porchia ?… »
J’ouvre. Je vois. (Je revois très nettement la scène : le livre qui, tout à coup, se met à occuper tout l’espace. La lumière sur le livre. La lumière dans le livre. La lumière qui monte des Voix. La présence d’une voix qui appelle, qui convie, généreuse et lucide.) Sidération. Le cœur qui bat. Sentiment d’évidence. Incontournable nécessité. Je referme. Je lâche, avec la certitude qu’on doit mettre à énoncer une sentence : je traduis.
Sans aucun projet tout d’abord (j’ai vite fait d’inventorier les traductions existantes, fort respectables, et puis l’ampleur de l’œuvre exclut a priori une publication dans PO&PSY, impérativement limité dans son format). Juste, donc, pour pouvoir lire au plus profond, au plus près, cet ensemble unique de voix. Me couler dans cette voix, me défaire de ma voix pour restituer au plus juste cette « presque biographie qui est presque de tout le monde », dit Porchia (dont Rubén Darío aurait sans nul doute fait un de ses « rares » avec une meilleure concordance des temps…)
Alors, c’est la phase heureuse de l’exploration, de la découverte qui ne laisse pas intacte (on traduit pour ça, non ?), de l’approfondissement – vertigineux, chez Porchia, qui n’en finit pas de creuser. Qui n’en finit pas d’étonner : comment avec si peu de mots, avec des mots si courants, arrive-t-il à formuler des « vérités » si fines, si complexes, si universelles ?
Avant de parcourir mon chemin, moi j’étais mon chemin.
Je pense à Héraclite (celui de Clémence Ramnoux, bien sûr). Je pense à Han Shan, aux grands mystiques persans. Je pense à Guillevic. Je pense surtout à Porchia.
L’appareil critique de Voces reunidas – première édition intégrale due à Pre-Textos (Valencia, 2006) – m’apporte des éléments précieux : des données biographiques, indispensables, certes, pour comprendre ce destin éditorial quasi secret, qui a néanmoins soulevé dans le monde entier une ferveur toujours vivace, en dépit des tracasseries des conformistes de l’écriture. Mais aussi, un inventaire complet de 3 niveaux de variantes, qui va m’aider à restituer le plus finement possible cette « sagesse portée par un langage très particulier qui ne craint pas les apparentes répétitions, explique Roberto Juarroz : Porchia croyait que les synonymes n’existaient pas, que chaque mot est différent selon la position qu’il occupe dans la structure syntaxique (…) C’est pourquoi, parfois, les grammairiens, les critiques, les formalistes se sentent mal à l’aise devant une écriture comme celle-ci : d’une certaine manière elle met en crise leurs formules, leurs préceptes. » ; à ne pas trahir le poète, qui avertit : « Qu’on ne dise jamais que j’écris des aphorismes. Je me sentirais humilié. »  ; à saisir, plutôt, ce quelque chose d’autre que Roger Caillois, premier traducteur et éditeur de Porchia, a tenté d’entrevoir : « Ces pensées ne sont pas des idées, et c’est tout juste si ce sont des pensées ; elles ne manifestent ni logique ni psychologie, mais bien plutôt une métaphysique, une métaphysique où il faut deviner bien plus que comprendre, et, si l’on devine, choisir d’entre les formes de divination celle qui laisse la plus grande place à la sympathie, c’est-à-dire, qui permet de se laisser aller, d’abandonner les diverses rigidités ou tensions ou états d’alerte de tout ordre, qui, pour le commun, sont inséparables de l’effort intellectuel. C’est que, peut-être, il ne s’agit pas de s’efforcer. »
Fin 2010, alors que le premier jet est achevé, je ne peux résister au plaisir et à la nécessité de publier dans PO&PSY une sélection de 200 voix, choisies dans les quatre recueils qui composent Voces reunidas. Le volume, qui paraît en février 2011, emprunte sa présentation aux Cent Mille Milliards de poèmes de Queneau, dans le souci de libérer les « petits papiers » que Porchia lisait jour après jour à ses amis d’Impulso (une association d’artistes du quartier de la Boca, à Buenos Aires, émigrés pour la plupart d’Italie, comme lui) du carcan-livre auquel l’impression les a condamnés.
À l’automne de la même année, je me décide à proposer l’intégralité de ma traduction, d’abord à Corti, qui accepte mais finit par renoncer, puis à André Velter pour Gallimard, qui se dit intéressé mais annonce des délais. Entre-temps, PO&PSY a décidé de se prolonger en PO&PSY in extenso, qui accueillera l’œuvre complète de certains des auteurs déjà publiés dans PO&PSY.
Et c’est ainsi, en juin 2013, après deux années d’approfondissement de la traduction, que les 1182 voix d’Antonio Porchia, pour la première fois réunies en version française, viennent rejoindre la constellation Porchia.
Juarroz a dit de Porchia que « c’était un individu toujours prêt à penser ce qui, semble-t-il, n’a pas besoin de l’être et dont, pourtant, il tirait du nouveau, ce que nous n’avions pas vu. Il vivait ses voix ».
Ces quatre années de fréquentation intime de la pensée de Porchia ont été pour moi aussi une expérience de vie, m’ont fait vivre le travail de traduction comme une création.

* Après une trentaine d’essais de clinique psychiatrico-psychanalytique, Danièle Faugeras traduit exclusivement de la poésie – de l’italien, avec Pascale Janot : Patrizia Cavalli, Paolo Universo (œuvre complète à paraître) ; du japonais, avec Pascale Janot : Issa ; de l’espagnol : Garcia Lorca et Porchia

Danièle Faugeras*
Le Matricule des Anges n°148 , novembre 2013.
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