Charles Juliet, dans la clarté
Une telle rencontre est l’occasion d’éprouver la cohérence profonde d’un homme et d’une œuvre. Le privilège de se trouver au plus près d’une parole nue qui ne se départit à aucun moment de sa justesse. Charles Juliet vous accueille avec chaleur dans son appartement du centre de Lyon, celui qu’il occupe depuis toujours. La lumière déclinante d’un après-midi de fin décembre entre par la fenêtre de la pièce paisible où nous nous installons. Ce ne sera pas le bureau : les livres en ont par trop envahi l’espace et notre hôte redoute que nous y manquions de confort. Tandis que nous parvient l’écho joyeux des voix de ML, son épouse, et d’une amie, nous commençons un entretien au long cours.
Vous avez récemment reçu le prix Goncourt de la poésie. Vous attendiez-vous à cette distinction ?
Non pas du tout. Ça a été une vraie surprise. C’est un ami qui m’a téléphoné pour me l’apprendre. Je croyais que c’était une plaisanterie, mais en fait, non… Je n’attendais vraiment rien. Je sais qu’en général, la poésie ce n’est pas lu. Il n’y avait donc pas lieu d’attendre quoi que ce soit… Je ne savais pas du tout que ce jury avait connaissance de moi en tant que poète.
Est-ce que cela vous a fait plaisir ?
Bien sûr, il n’y a pas de raison que ça ne me fasse pas plaisir. Les bonnes choses sont toujours bonnes à prendre… Mais comme je n’ai jamais rien demandé… J’ai pu le recevoir en toute tranquillité et sans mauvaise conscience.
Lorsqu’on relit les premiers volumes du Journal, les premiers recueils de poèmes, on est surpris de voir combien votre écriture est dès le départ posée, comme installée dans son exigence. Le jeune homme que vous étiez savait déjà comment il devait écrire ?
Ce que vous me dites me surprend. À cette époque je ne savais rien. J’étais d’une très grande ignorance à la fois du point de vue culturel et d’une grande ignorance aussi en ce qui me concernait. Mais c’est vrai que j’avais ce besoin d’écrire, que j’étais dans une grande souffrance et que cette souffrance me contraignait à une parole nue, donc à ces notes très brèves, très concises. Je n’avais pas à enjoliver. Il fallait que je dise les choses au plus près, qu’elles soient les plus fidèles à ce que je vivais. J’ai toujours recherché cela. D’ailleurs je n’ai pas eu à le rechercher, ça m’était imposé par cette nécessité intérieure.
Comment est venue la décision de tenir un journal, dès 1957 ?
Je crois qu’il n’y a pas eu de décision. C’était un besoin. Un besoin d’écrire, de noter tout ce qui se passait dans mon intériorité. Un besoin d’intervenir pour clarifier tout ce qui m’arrivait, de mettre en ordre… C’était essentiel. Il m’a fallu de longues années pour comprendre ce que je cherchais à travers l’écriture.
Ce n’était donc pas un choix pour faire exister votre travail, pour qu’il y ait une trace de tout cela ?
Le journal se situait en dehors de toute référence à la littérature. J’avais juste ce...