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Poésie Tous feux éteints

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Richard Blin

Plus de trente ans après sa mort, on peut enfin lire les poèmes de Stanislas Rodanski. Ils donnent voix à un destin qui fut à la fois le sien et celui d’un autre.

Je suis parfois cet homme

S’il n’a presque rien publié de son vivant, trop occupé à déambuler et bientôt à s’égarer dans la poursuite de ses chimères – « Il ne s’agit pas de faire une œuvre, mais de faire acte de présence à moi-même », Stanislas Rodanski a cependant beaucoup écrit. Né à Lyon en 1927 sous le nom de Bernard Glücksmann – il ne cessera d’en changer (Lancelo, Tristan…) pour échapper à toute définition –, mort en 1981, il eut une vie qui se divise en deux périodes de vingt-sept années chacune, la charnière se situant dans la nuit du 31 décembre 1953 lorsque, à 27 ans, il entra volontairement à l’hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, à Lyon, d’où il ne sortira plus et où il mourra. Il laisse une œuvre singulière et fragmentaire à l’image d’une vie aussi rêvée que folle, des premières fugues et de sa déportation dans un camp de travail en Allemagne (1944) jusqu’à ses séjours en prison pour vols, trafic d’armes, de stupéfiants – « C’est pour le plaisir que je me suis placé hors la loi et non par nécessité » – en passant par une tentative de suicide, un engagement dans les parachutistes, sa désertion quelques mois plus tard, des hospitalisations et un incessant vagabondage, allergique qu’il était au monde et à la société. De son vivant ne parut que La Victoire à l’ombre des ailes (Soleil noir, 1975) avec une préface de Julien Gracq, qui le connaissait pour l’avoir croisé chez les peintres Jacques Hérold ou Victor Brauner. Le reste de l’œuvre – poèmes, proses, journaux, récits, romans – paraît depuis par bribes, comme aujourd’hui ce recueil de poèmes écrits entre 1946 et 1952 et presque tous inédits.
Et c’est une vraie belle surprise que ce livre, que cette parole dépaysante née d’une insatiable soif d’infini, venue de l’obscur, des perspectives éperdues qui s’ouvrent entre le néant et l’absolu. Plutôt que de gagner sa vie, Rodanski a choisi de la jouer, d’exister autrement qu’à la surface des choses. « J’écris à la recherche du mot de passe, entre la lueur et la flamme, l’écorce du jour et l’arbre de la nuit, la voûte et la clé qui la soutient. » Autrement dit il a choisi d’aller sans tricher à l’inconnu en naviguant à travers la vie courante tous feux éteints. Une sorte de dérive rigoureusement incontrôlée, animée par l’espoir qu’à la faveur des chocs et des rencontres qui modèleront son existence libérée de l’inessentiel, il découvrira son chiffre secret. « J’écris ces choses qui dépassent la vie d’un homme que je suis parfois. » Et « ces choses » donnent ce livre qui réunit les bribes d’une Odyssée sans une Ithaque où accoster. « Je suis celui qui s’enfuit et ne revient jamais / Et je suis celui qui demeure // Chevalier errant du temps perdu (…) // Passager d’un navire illusoire / Vers les ultimes mers de la nuit / Le cap à l’infini. »
Rodanski est un homme qui ne dort pas, qui veille, un homme désaccordé à notre monde. « Rien ne me justifie. C’est pourquoi je refuse de justifier ma conduite ». Un homme qui a foi dans les signes et qui, mêlant l’imaginé au vécu, a inventé sa propre légende, quelque part entre El Desdichado et ceux qu’il appelait Les Ratés de l’aventure. D’où une identité multiforme – « Je suis autre, et ce “Je ” trouve et s’y perd » –, une pathétique perte des repères essentiels, une impossibilité d’adhérer pleinement à soi. « Je m’attends à tous les coins de rue. » Un moi désancré, déchiré dont témoigne presque chaque poème. « La Chevelure de Bérénice me frôle dans un monde où la chance et l’effroi se fascinent tandis que mon esprit assiste à moi-même. »
Des Hymnes à la nuit donc, que ce livre. Une tentative admirablement ratée de se sauver, mais riche de l’humour noir et des chimères d’un poète qui donne voix à la nécessité intérieure qui le meut et à la conjonction de délibéré et d’imprévu qui conduiront à son naufrage et à celui du vaisseau de ses fantômes.

Richard Blin

Je suis parfois cet homme
Stanislas Rodanski
Édition établie et présentée par François-René Simon
Gallimard, 178 pages, 17

Tous feux éteints Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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