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Domaine étranger American dream

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Valérie Nigdélian

Derrière la façade clinquante de l’Amérique des années 1980, Dandy, premier roman de Richard Krawiec, explore la voie sans issue des exclus.

Y a qu’à la télé qu’on voit ses trucs-là. (…) Quand on a la télé. » : au fond de jardins avec fontaines et balustrades, des villas aux allures de palaces, bar encastré, sèche-linge, télé couleur avec câble et, en surimpression, « toutes ces images de couples heureux et de familles qui faisaient des barbecues »… Tous ces trucs-là, ils ne les auront jamais. Ils ? Artie et Jolene, cœurs et corps perdus dans un monde décidément trop dur pour eux, trop froid. Trop sec.
Dandy, c’est l’histoire de deux paumés, deux invisibles dont la vie tourne à vide jusqu’à ce qu’ils se rencontrent et s’accrochent maladroitement l’un à l’autre. Artie donc, petit voleur à la tire, sans toit ni loi, zigzaguant entre les coups. Et Jolene, fille-mère d’un petit Dandy, son Dandy Handy – 2 ans, bientôt aveugle, ne sachant ni parler ni tenir sur ses jambes, nourri au Coca et au beurre de cacahouète.
Dandy, c’est l’histoire d’une misère noire – sociale, culturelle, psychologique et affective – que l’on arpente avec eux dans une ville sale et glaciale, où la neige même devient boue.
Dandy, c’est l’histoire d’une errance intérieure, sans lendemain, ni direction ni projet – sinon celui de survivre, jour après jour en « regarda(nt) par la fenêtre tandis que le soleil se déplaçait au-dessus de la terre ». Une sorte d’arrêt sur image – deux êtres au point mort avant même d’avoir pu commencer quoi que ce soit. C’est pourtant bien cela le sens de la vie, non ? « On démarre quelque part et on travaille » ! Mais « si on n’arrive jamais au point de départ ? Si on n’arrive jamais jusque là ? » Alors c’est la débrouille – on tire des sacs, des serviettes et des sachets de ketchup dans les bars… Et on peut aussi, pour quelques dollars mais au prix d’un engourdissement supplémentaire, prêter son corps à des hommes bien « convenables »…
Plongée dans les bas-fonds donc, avec ces deux enfants enfermés dehors, jetés dans une arène où hurlent les chiens. Et qui tentent sans vraiment y croire de reconstruire des bribes d’humanité – quelques instants de chaleur autour d’une bouteille de whisky, quelqu’un à qui parler… le sentiment de valoir quelque chose, peut-être.
Dandy, c’est… désespérément pathétique, mais sans pathos ; affreusement misérable, mais sans misérabilisme, et surtout, c’est drôle : ce petit bricolage de combines, ces héros minables en perpétuel décalage, ces êtres boiteux qui rêvent d’une ligne droite comme on n’en voit qu’au cinéma et qui ne cessent de se payer de mots. Que secouent sans crier gare des sursauts de dignité immanquablement voués à l’échec – comment devenir propriétaire quand on n’a qu’une plaquette de margarine dans le frigo, comment trouver du travail alors que les brumes de l’alcool vous empêchent de tenir debout, comment dire à une fille qu’elle est « la prunelle de mes yeux. Le sel de ma vie. Ce genre de trucs » alors qu’on ne pense qu’à une chose, trouver un abri. Lui promettre « Ta vie va changer, tu vas pas en croire tes yeux » tout en « enfoui(ssant) son visage dans (son) T-shirt (…) comme un bébé cherchant le sein ». Artie et Jolene sont deux animaux désemparés, à qui personne, jamais, n’a expliqué les règles du jeu, l’un accroché à son enfant – dont elle calme les pleurs en le laissant le temps qu’il faut la tête en bas – l’autre à sa collection de chiens en faïence ou en étain – souvenirs dérisoires d’un père absent. Deux animaux qui malgré la dèche, la mauvaise foi et la terreur, parviennent à ébaucher un lien étrange et vacillant. Fragile, mais il faut bien exister dans les yeux de quelqu’un : « il faut que ça marche (…). Il faut que quelque chose marche ».
C’est là sans doute ce que dit de plus beau ce roman doux et grinçant de Richard Krawiec, publié en 1987 : cette absence des êtres à eux-mêmes, le vide infini qui les constitue comme sujets chancelants d’une histoire en peine, le sentiment de n’être « personne d’autre, pas plus (que) qui que ce soit ».

Valérie Nigdélian-Fabre

Dandy
Richard Krawiec
Traduit de l’anglais (états-Unis) par Charles Recoursé
Tusitala, 240 p., 18,50 

American dream Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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