Disons-le d’emblée : le livre est beau. D’une beauté pas du tout tapageuse, bien au contraire. Toute en sobriété et en élégance. Par son format tout d’abord (à peu de choses près les dimensions d’un feuillet A4), et par son épaisseur, qui confère au volume comme un surcroît d’importance. Un gage de sérieux. Ensuite par sa mise en page, sur deux colonnes asymétriques, avec des citations pleine page, et quelques photographies (un cliché par entretien). Ne manque guère qu’un cd, grâce auquel il eût été possible de retrouver les voix. Pas forcément l’intégralité des entretiens, mais au moins des extraits.
Ce bel objet ne serait rien sans la riche matière qu’il contient. Douze entretiens, dont six ont été publiés du vivant de l’auteur (Aragon, Colette, Cendrars, Giono, Henry Miller et Yourcenar) dans la collection sonore « Les Grandes Heures », les autres étant inédits (Simenon, Kessel, Monfreid, Gary, Barthes et Romilly). Le plus ancien (Colette) a été diffusé en 1950, le plus récent (Romilly) en 2000. Tous procèdent du même désir d’entraîner le lecteur dans l’intimité de chaque écrivain, que ce soit en dix pages pour Miller ou en quatre-vingts pour Cendrars.
Il y en a ici pour tous les goûts. On pourra par exemple apprécier la joute verbale qui oppose Colette à André Parinaud (qui était de cinquante ans son cadet). On a l’impression que l’auteur de Chérie y règle ses comptes et qu’elle surjoue son personnage, au point d’en devenir désagréable. Quand Périnaud lui demande, avec peut-être un rien de maladresse : « Quel était le trait de caractère que vous appréciiez le plus dans Georges Courteline ? », Colette répond : « Pensez-vous que j’aie eu le temps, le loisir et l’audace de compter les traits de caractère de Georges Courteline ? » Le reste est à l’avenant.
À contrario les quatre-vingts pages de l’entretien réalisé avec Blaise Cendrars se lisent comme un roman. Il faut dire aussi que les aventures du romancier aux quatre coins du monde ne manquent pas de sel (on le voit chasser le boa à cheval et au lasso), et que les personnages qu’il a rencontrés sont toujours hauts en couleur, à l’image de ce Brésilien-Hollandais chef de gare, enfermé à vie dans une prison de Rio pour avoir « ouvert la poitrine de son rival d’un coup de couteau pour lui arracher le cœur et le dévorer cru, à pleines dents ».
On pourra bien sûr préférer des entretiens plus posés, comme celui de Roland Barthes, réalisé en 1977, peu après sa leçon inaugurale donnée au Collège de France. L’auteur des Mythologies y décrit sans pudeur ses rituels d’écriture, et y donne quelques belles formules : « Écrire, c’est tuer le désir d’écrire cette chose-là. » Ou l’on profitera peut-être de l’occasion pour en savoir un peu plus sur la légende Simenon, dont le rythme de production a de quoi étourdir : après avoir écrit un bon millier de contes, il s’est ensuite attelé au roman populaire (qu’il parvenait à écrire en trois jours), avant de se laisser séduire par...
Entretiens Le grain des mots
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Didier Garcia
Voici réunis douze entretiens radiophoniques de quelques grandes voix du siècle dernier. Un régal.
Un livre