L’histoire en elle-même aurait pu contenir dans l’espace d’un dé à coudre. Le livre de Charles Neider, publié en 1956, et qui inspira l’unique film de Marlon Brando, La Vengeance aux deux visages (1961), est avant tout le formidable récit de la parole enclavée. Il tend à dire le halo d’un mythe encombré par la multitude de ses témoins. C’est qu’on a tant et tout dit autour de Billy le Kid. L’origine du livre s’ancre, elle, dans la genèse d’une histoire qui cristallise et dépasse la parole des colporteurs. Ceux qui l’ont connu – se sont éreintés même à force de le côtoyer – pourraient en attester. Mais c’est prendre le risque de laisser en friche la langue d’un homme, s’exonérer du devoir de vérité sur les dernières années de la vie du Kid, en proie aux doutes et épris de liberté – fatigué par d’implacables chevauchées comme par l’alcool bon marché éclusé le long des routes sinueuses des falaises de la Punta del Diablo. Ici il n’est nullement question de pénétrer dans les arcanes des tribulations de Pat Garrett et de son acolyte. S’il s’agit bien d’un western en bonne et due forme, l’issue finale est scellée à l’initiale du texte, jusque dans le titre. Au Kid de redevenir poussière, tandis que le récit calque sa structure au plus près de la tragédie grecque.
Après une évasion héroïque de la prison de Monterey, il semble gravé dans le marbre que l’itinéraire de la bande soit celui d’un ultime retour sur les terres du nord – là où Nika, sa compagne, devait l’attendre. Doc Baker, ultime camarade d’infortune du Kid, sera là pour témoigner de la chance qui tourne. Si la mort rôde peu à peu autour de la bande du Kid, c’est qu’elle suit le sillage du tenace Dad Longworth – shérif zélé et charismatique. Certains diront de lui qu’il a abattu son rival d’une balle dans le dos. D’autres diront que le Kid ne pouvait rien y voir par une telle nuit. Chacun cherchera à réfuter la thèse d’une mort « à la loyale ». Autant de conjonctions sur la fin d’un mythe écorné qui ne peuvent effacer la vérité d’un homme, dont la complexité poussait ses hommes à la crainte comme à la plus fidèle amitié.
Fondé sur l’oralité, le texte est par bien des aspects celui de la parole libérée comme du non-dit. C’est que si les témoignages abondent sur la figure héroïque du Kid, alias Hendry Jones, le lecteur est confronté à son économie verbale. Il est l’homme de l’action. L’homme de peu de mots. Comme si l’horizon désertique qu’il arpentait inlassablement avait fini par épouser sa langue sèche, soignée à grandes lampées de whisky frelaté. « Maintenant les touristes viennent pour trouver un ancien qui leur parle de ce temps-là, ou pour voir les impacts de balles sur les murs de la prison municipale », « sans compter tous les écrivains qui cherchent quelque chose à écrire (et pour inventer ce qu’ils ne trouvent pas). Et je ne vous parle pas de tous ceux qui pensent qu’un hors-la-loi ne devrait pas avoir de pierre tombale, ni de la centaine d’armes à feu qui sont vendues avec l’assurance qu’elles lui ont appartenu ». C’est qu’au-delà des rides et des sillons creusés à même le visage du Kid, le temps demeure le terreau du mythe. La cérémonie organisée après sa mort en est la preuve vivante : seule la parole survit, mais avec elle ses faits d’armes et ses récits guerriers.
La Véritable Histoire de la mort d’Henry Jones est un subtil cocktail d’actions, où les témoignages sur les dernières années du outlaw prennent des allures de poupées russes. Bien plus qu’un western, nous avons là affaire à un grand livre polymorphe et rageur, contemplatif et passionnant de bout en bout.
Benoît Legemble
La véritable histoire de la mort d’Henry Jones,
de Charles Neider
Traduit de l’anglais (États-Unis) par M. Capelle et M. Saysans,
postface d’A. Ferenczi
Passage du Nord-Ouest, « Short Cuts », 222 pages, 20 €
Domaine étranger À chaque fin sa légende
juillet 2014 | Le Matricule des Anges n°155
| par
Benoît Legemble
Sondant les zones d’ombres qui entourent la fin de vie de Billy le Kid, Charles Neider signe un roman aux allures de palimpseste.
Un livre
À chaque fin sa légende
Par
Benoît Legemble
Le Matricule des Anges n°155
, juillet 2014.