Bienvenue à Sarrant, joli village médiéval de 392 habitants, dans le Gers, situé entre Toulouse et Auch. Il abritait jadis une confrérie de musiciens aveugles. Aujourd’hui, le temps d’un week-end, en août, il accueille un festival dédié aux arts du XVIe siècle et ses 7 000 visiteurs. Le reste de l’année, sauf les lundis, une librairie fait son office, place de l’Église. Étrange lieu avec ses livres et ses tables. De la couleur, de la chaleur. Du passage. On y prépare des tartines (confitures, foie gras), sert le vin, coupe le pain pendant qu’un client feuillette le Sade vivant de Pauvert.
Sur quelque 100 m2, la Librairie-tartinerie présente 20 000 titres, répartis en trois domaines, sur deux niveaux : la littérature, les sciences humaines et la jeunesse. On y trouve les dernières nouveautés. Mais pas seulement. L’historien des idées Howard Zinn voisine avec Gore Vidal, Le Mur de Lisa Pomnenka avec Louis Wolfson ou Max Aub, Jean Echenoz avec une anthologie poétique des voix féminines contemporaines. Un portrait de Mario Rigoni Stern. Des rayons sur la tauromachie, la guerre d’Espagne, Élisée Reclus, le colonialisme… « Tout est politique », annonce en couverture un ouvrage grand format. Comme une évidence.
Didier Bardy, ancien agriculteur, rêvait de monter une librairie. Sa compagne Catherine Mitjana, un lieu de rencontres et d’animation « d’utilité sociale ». Originaires de la région Midi-Pyrénées, tous les deux connaissent sur le bout des doigts les enjeux de la formation professionnelle et du développement en milieu rural. C’était leur métier. « À nos yeux, le livre est un outil de discernement, d’émancipation », explique Didier, 62 ans, fervent lecteur du pédagogue brésilien Paolo Freire.
En 1999, ils achètent et retapent un hangar en ruine. Investissent 50 000 e. La librairie (qui compte trois salariés) ouvre en juillet 2000. Les samedis, dimanches et vacances scolaires. D’un « loisir actif », la librairie est devenue une ruche. Qui accueille des débats, des expositions, des « rencontres apprenantes », des stages de lecture et d’écriture. « Le livre sous-tend toujours notre réflexion », ajoute Catherine, qui parle de transmission, de culture partagée, d’horizontalité, d’économie sociale et solidaire. Une utopie raisonnée ? La Librairie-tartinerie écrira un nouveau chapitre cet été : du 17 au 30 juillet aura lieu la première édition des Estivales de l’illustration. Une fête du dessin et de la gravure (ateliers, rencontres) sous le patronage de l’illustrateur François Place.
D’où vient ce concept de librairie-tartinerie ?
Didier Bardy : Nous avions découvert une librairie à Madrid, très axée sur les sciences humaines, qui offrait la possibilité de manger. Mais ouvrir un restaurant nécessite trop de normes à respecter… Il fallait inventer quelque chose où l’on ne transforme pas les aliments. Et nous sommes tombés sur un café, près de Gérone, qui proposait des tartines. Voilà ce qu’il nous fallait !...
Entretiens Le goût des autres
juillet 2014 | Le Matricule des Anges n°155
| par
Philippe Savary
On peut y manger, lire et débattre. En pleine campagne gasconne, la Librairie-tartinerie offre un lieu de vie résolument alternatif. Conçu comme un projet politique.