Louis Guilloux, la traversée d'un siècle
- Présentation Solitaire et solidaire
- Entretien Le sang des hommes
- Papier critique La dérision humaine
- Autre papier Vivre debout
- Bibliographie Bibliographie sélective
- Autre papier « Sous les pieds du monde », l’expérience de Louis Guilloux
- Autre papier À la lumière des cerisiers
- Autre papier Bouffer de la finitude
Un homme marche dans sa ville, Saint-Brieuc : seul, accroché à sa pipe, les cheveux un peu trop longs, la silhouette maigre, la mise négligée, le pas alerte ou mélancolique selon les jours, le plus souvent un vieux manteau sur les épaules. Ici chacun le connaît – et il arrive sans doute qu’une mère murmure à son enfant, surpris ou effrayé par cette apparition : « C’est le pauvre Guilloux ». On sait pourtant que ce presque clochard est un romancier reconnu, là-bas à Paris, on raconte aussi que son œuvre la plus célèbre offre une peinture pour le moins peu réjouissante de cette ville où l’on vit, on lui en veut pour cela, certains aussi le disent un peu hautain, on évoque son amitié avec Malraux, oui, le ministre du Général, avec Camus, oui, le prix Nobel. Mais, en ces années 60 puis 70, alors que le Nouveau Roman, la Nouvelle Vague puis Mai 68 et ses avatars ont modifié le paysage culturel et même mental, ce Louis Guilloux qui, dit-on, fut aussi un rouge, a quelque chose de déplacé, d’anachronique : cette ombre frêle qui arpente les rues ne serait-elle pas un fantôme ?
« Ce ton uni et pur, cette voix un peu sourde qui est celle du souvenir témoignent pour celui qui raconte, vertus du style qui sont aussi celles de l’homme ». Albert Camus
Guilloux repose depuis 1980, aux côtés de sa femme Renée, dans ce même cimetière Saint-Michel où il avait conduit Albert Camus, en 1947, sur la tombe de ce père qu’il n’avait jamais connu, mort en 1914 à Saint-Brieuc, rapatrié, gravement blessé, du front (Camus le racontera dans une très belle scène de son Premier homme posthume). Ce cimetière se trouve à quelques centaines de mètres de la maison de Guilloux, qu’il fit construire au début des années 30 et où l’on peut, aujourd’hui, méditer dans le bureau où il écrivit, dans la solitude propre au créateur, des milliers de pages, au milieu de ses livres et face, d’un côté, à la ville, et, de l’autre, à l’horizon et à la mer. C’est que, plus de trente ans après sa mort, si sa silhouette ne parcourt plus les rues, nombreux sont ceux qui, dans sa ville, lui assurent une forme de présence, lui redonnent vie. La Société des Amis de Louis Guilloux (Anne-Marie Le Bail, Paul Recoursé et leurs camarades) organise chaque année un concours d’écriture, proposant à des collégiens, des lycéens ou de jeunes auteurs d’écrire un court récit s’inspirant d’une page de Guilloux, fait paraître la revue Confrontations, met en place des colloques. Le prix Louis-Guilloux du Conseil général (Yannick Pelletier en fut un des instigateurs, Yvon Le Men préside aujourd’hui le jury) récompense chaque année depuis 1983 un écrivain dont les thèmes ou l’écriture peuvent être rapprochés de ceux de Guilloux (il vient d’être attribué à Hubert Mingarelli pour L’Homme qui avait soif). À la bibliothèque municipale, Arnaud Flici veille sur le fonds, les archives de l’écrivain, accueille et guide les lecteurs curieux ou les universitaires, de plus en plus nombreux et rajeunis...