Quand on ouvre La Nuit de Tlatelolco, épais livre au grain bleu sombre et à la couverture trouble représentant une foule, les slogans jaillissent blanc sur noir au visage (« Diá-lo-go - Diá-lo-go - Diá-lo-go ») ; les voix et les photos vous happent. Manifestants, simples témoins, dirigeants, ouvriers ou professeurs : autant de témoignages collectés par l’écrivaine Elena Poniatowska au lendemain du sanglant 2 octobre 1968, et tressés dans ce récit-document. Difficile de ne pas être à la fois éprouvés et fascinés par cette « Histoire orale d’un massacre d’État ». Parue en 1971 au Mexique, La Noche de Tlatelolco vient enfin d’être traduite et illustrée par le Collectif des métiers de l’édition.
On doit la découverte de leur passionnant travail à la publication qu’ils firent à l’automne dernier de La Racine de l’ombù, roman graphique méconnu du dessinateur Alberto Cedrón et de l’écrivain Julio Cortázar, livre au destin éditorial semé d’embûches (voir Lmda N°140 et N°150). Après avoir frappé à la porte de Gallimard et d’Actes Sud, le traducteur Mathias de Breyne s’était tourné vers cette toute jeune maison toulousaine (créée en 2011) avec des fichiers informatiques en pagaille et des cases de bande dessinée à reconstituer. Résultat : un ovni éditorial qui a déconcerté les libraires (roman graphique ? beau livre ? fiction ?) autant qu’il a séduit la critique.
« Chaque titre est né d’une trouvaille », raconte Anna Touati, l’un des membres fondateurs du collectif aux initiales quelque peu intimidantes (« on s’est mis une pression énorme sur les épaules, avec un nom pareil »). Le CMDE regroupe des passeurs pas tout à fait comme les autres : ils ne traduisent pas seulement des textes, ils rassemblent des essais historiques et politiques (La Révolte des Ciompi, 2013), ou Barcelone contre ses habitants, qui paraît ce mois-ci), publient des essais inédits de critique sociale (Facebook – Anatomie d’une chimère, leur deuxième meilleure vente) et accompagnent des documentaires filmés. Ainsi, La Palabra del agua (2012) et Du braquage au violon (2014) émanent d’une collaboration avec une maison de production indépendante mexicaine, En la línea. L’un des coréalisateurs d’un documentaire sur les groupes de musiciens formés en prison, Juan Felipe Guzmán Cuevas, est venu en France et a passé plusieurs mois auprès d’eux pour confectionner un livre qui donnerait à son film un écrin : entretiens avec des prisonniers, partie sur le langage canero, cet argot des prisons, chapitre sur l’univers carcéral dans le contexte du Mexique au XXe siècle. Projections et rencontres ont suivi la publication de cet objet singulier, mi-film mi-texte. Pour La Nuit de Tlatelolco, c’est le mouvement contraire : le collectif a sous-titré un documentaire récent (Les Clefs du massacre, 2007) qui évoque les responsabilités gouvernementales de la nuit du 2 octobre (aspect que le livre, en tant que recueil de témoignages sans morale de l’histoire, n’aborde pas) et qu’ils...
Éditeur Zone franche
À la frontière entre document engagé, conte et livre illustré, les coéditeurs du Collectif des Métiers De l’Édition défendent des savoir-faire et des rêves. Portrait d’une jeune maison qui a les pieds à Toulouse et la tête ailleurs.