Nathalie Quintane, écrire en hors-piste
Si Les Années 10 apparaît de prime abord comme le début d’une nouvelle voie empruntée par Nathalie Quintane, c’est peut-être parce qu’on n’a pas assez bien lu les livres précédents. Ou parce que la pratique du lâcher prise de l’écrivain chamboule joyeusement les lectures qu’on a l’habitude de faire. L’essai qui paraît ces jours-ci ne manquera toutefois pas d’ancrer toute la pratique d’écriture dans un rapport au politique pour le moins excitant : il s’agit à la fois d’être à la pointe d’une pensée et dans l’arrondi de qui vit aujourd’hui, déboussolé quand même par la multiplication des signes creux, traces d’une communication qui se fait à vide, comme autant de stimuli envoyés aux chiens de Pavlov que nous sommes.
On aurait aimé que la romancière nous donne le sextant et la boussole pour nous aider à nous y retrouver dans ses livres aux formes étranges. On aurait été déçu qu’elle le fasse. Puisqu’au plaisir de parfois se perdre, se mêle celui de toujours finir par se retrouver. Balisage en lumière noire de quelques chemins de traverse.
Nathalie Quintane, comment est né Les Années 10 et comment l’inscrivez-vous dans votre œuvre ?
Il y a trois ans, en 2011, j’ai participé à un ouvrage collectif publié à La Fabrique : Toi aussi, tu as des armes, sous-titré « Poésie et politique ». Pour celles et ceux qui ont contribué à ce livre, il va sans dire – même si ça va mieux en le disant, dont acte – qu’on ne fait pas l’un sans l’autre : pas de poésie sans politique, l’inverse n’étant toutefois pas exactement vrai… Depuis, Eric Hazan me parlait d’un livre, quelque chose comme une chronique du temps, proche des Choses vues de Victor Hugo. Dans la mesure du possible, j’essaye de répondre à une commande en me ménageant une marge de manœuvre qui me permette à peu près de faire ce que je veux sans qu’on ait à me dire de reprendre le texte. Bref, je ne sentais pas trop cette affaire de Choses vues réactualisées, qui risquait de m’entraîner vers une phase antérieure, assez ancienne à présent, de mon travail : les notations précises de choses – vues –, comme dans Chaussure (mon premier livre paru chez P.O.L en 1997), mais avec un filtre ou une « gélatine », comme on dit au théâtre, « politique » (privilégiant l’actualité, par exemple). Un livre qui serait politique parce qu’il ne parlerait que de politique – alors que Chaussure avait été pleinement politique en parlant de godasses !
Donc, je voulais plutôt un livre qui poursuive le travail entamé avec Tomates, cet essai critique, et autobiographique, dont tout l’effort visait à établir des rapports, à relier entre eux des événements qu’on pense aujourd’hui séparés : du XIXe siècle de Blanqui aux années Sarkozy, via l’engagement d’Action Directe, il s’agissait de tout reprendre, pour tenter de comprendre pourquoi certains de ces événements nous étaient devenus incompréhensibles, étrangers, et comment, de ce fait, nous étions, tous autant que nous sommes, devenus pour une part,...