Nathalie Quintane, écrire en hors-piste
Ce sont neuf textes rassemblés ici comme des fragments d’un miroir brisé. Non le miroir de celle qui écrit, pas plus de celui qui lit, mais d’une époque, la nôtre, et d’un pays, le nôtre, qui se prépare, si l’on en croit les médias, à mettre au pouvoir un parti réputé il y a peu xénophobe (admirez la précaution oratoire). Et, puisque ce pays repose sur une constitution démocratique, c’est donc le peuple (s’il existe) qui s’apprêterait à donner les clés du pouvoir au Front national.
C’est donc autour et à partir de cette notion de peuple que le livre de Nathalie Quintane semble s’être construit. « Stand Up » qui ouvre Les Années 10 nous place d’emblée dans ce peuple-là (cette classe moyenne dont il sera question plus tard). Celle qui parle n’est pas Nathalie Quintane, mais c’est aussi elle, comme sa voisine, comme une amie, comme vous, comme nous. C’est quelqu’un qui apprend que Marine Le Pen sera bientôt en visite dans sa ville et qui imagine, le plus prosaïquement possible, ce à quoi peut ressembler une visite de MLP. « Stand Up » use donc d’une forme de fiction par anticipation, dont le déroulement lisse toute aspérité de pensée. MLP est une star des médias qui veut être prise pour une fille du peuple ? Qu’à cela ne tienne, mettons-la en scène visitant ainsi les commerces de la ville. « Chez quels commerçants pourrait-elle bien aller ? (…) Il y a là (…) un boucher, un bon boucher qui ne met pas sa viande dans des barquettes en plastique, dit-elle, vous ne mettez pas votre viande dans des barquettes en plastique, et si c’est du mouton, il est du pays ». On est au cœur de cible de Jean-Pierre Pernaut : les bonnes courses, les bons produits (« moi je préfère les chocolats noirs »), la beauté de la Province. Le texte suit ça, sans hausser le ton, lissant le réel comme peut le faire un discours de campagne. Objectif : « je suis comme vous, vous êtes comme moi ». Le degré zéro de la pensée politique, autant dire. Le texte en devient glaçant tant il s’impose comme réel probable, prévisible. Pas de révolte (sinon l’indifférence de quelques-uns), pas de critique : le monde est lénifiant et Marine Le Pen n’a qu’à parler d’elle (« J’aime beaucoup les petites pensions de famille, où vous arrivez et vous vous installez comme chez vous, une bonne soupe vous attend, du pain non congelé, un bœuf… ») pour polir son image de people comme tout le monde ; et ce sera dans la poche. « Stand Up » : le titre est bien choisi. On est dans la salle, MLP parle, ça pourrait être nous.
Si le livre s’inaugure avec le texte le plus romanesque, comme un sursaut aussitôt il embraye avec une « Lettre à Jean-Paul Curnier » qui poursuit une correspondance de Quintane avec l’écrivain philosophe à propos du mot « peuple ». Discussion publique « commencée sous Sarkozy, poursuivie sous Hollande, et qui ne risque pas de manquer de carburant au train où vont les choses. » Le peuple a-t-il disparu ou s’est-il transformé en se défaisant des oripeaux qui le rendait...